DANS LES ANNÉES 70 ET 80, LE COCKTAIL ROCK ET DÉFONCE FAISAIT FUREUR. UNE DOUBLE ACTU POLITIQUEMENT CORRECTE RÉVEILLE DE NOIRS SOUVENIRS. BIENVENUE DANS LES COULISSES HALLUCINOGÈNES ET BORDERLINE DE LED ZEP ET DES HAPPY MONDAYS.

J’ai passé l’audition avec succès et peux désormais me balader parmi eux sans craindre qu’il ne prenne soudainement à Peter Grant l’envie de m’invectiver avec son accent flippant de l’est de Londres avant de me balancer d’un troisième étage du revers d’un seul de ses énormes battoirs. » Dans son livre Apathy For the Devil(1), le journaliste anglais Nick Kent raconte l’ambiance Led Zep de 1972-1973. Il y a d’abord Grant, manager d’1m93 et 140 kilos, ancien catcheur imposant ses diktats intransigeants à la presse et à l’industrie. Le premier cercle maléfique comprend également le tour-manager Richard Cole et son alter ego, le buveur-enclumeur John Bonham. Kent: « A la cour de Led Zeppelin, Cole est l’authentique barbare: les histoires épouvantables de cruauté gratuite qui émaillent la noire légende du groupe lui sont presque toutes imputables et découlent généralement d’incidents qu’il a provoqués. Sa personnalité d’inquiétant flibustier s’accorde sans problème avec les tendances belliqueuses d’un Bonham ivre. Ensemble, ils sont source d’ennuis à n’en plus finir. » Quand Cole est finalement viré du Zeppelin en 1980 -pour héroïnomanie prononcée-, il laisse dans son sillage une profonde odeur de putréfaction. La tournée américaine de 1977 est un fantastique succès commercial -76 229 fans remplissent le stade de Pontiac, record absolu pour l’époque- mais l’action nauséeuse des drogues dégrade une ambiance déjà sombre. Cole a engagé John Bindon, gangster notoire, pour gérer la sécurité en toute impunité.

A Oakland, Californie, un collaborateur de Bill Graham(2), qui a giflé le fils de Peter Grant parce qu’il enlevait un signe des vestiaires (…), est sévèrement tabassé par Bindon et Grant, Cole gardant la porte. La bande échappe de justesse à la prison en payant de conséquentes amendes. Le surlendemain de cette mauvaise adrénaline, alors que le groupe arrive à son hôtel de La Nouvelle-Orléans, la nouvelle tombe: le fils de Robert Plant, Karac Pendragon, six ans, vient de mourir d’une infection virale. Les dates restantes sont annulées et Plant repart enterrer son fils en Angleterre, accompagné de Cole et Grant. Les trois autres musiciens du groupe ne prennent pas la peine d’assister aux obsèques. Plant en sera profondément blessé. Bonham, 32 ans à peine, meurt trois ans plus tard d’une overdose d’alcool à la veille d’une tournée américaine et Peter Grant, après avoir vaincu son addiction à la coke, ne résiste pas à un infarctus le 21 novembre 1995. Il a 60 ans.

Requin, groupie et blues volé

Entretemps, les confidences -anonymes- de Cole sur les coulisses de l’exploit alimentent en 1985 un livre assez scandaleux pour grimper les listes de best-sellers: Hammer Of The Gods,écrit par un journaliste de Rolling Stone, Stephen Davis, ayant partagé un bout de tournée avec le groupe en 1975. Ce Marteau des Dieux –phrase tirée d’Immigrant Song- fait plutôt les poubelles que les banquets, comme le propre carnet de bord de Cole, Stairway To Heaven: Led Zeppelin Uncensored, paru en 1992. Il est aussi beaucoup question de groupies et de magie noire, la première catégorie étant magnifiée par des fantasmes apocryphes, notamment l’anecdote dite du « requin » dont des morceaux auraient été introduits dans le vagin et le rectum d’une groupie lors d’un séjour à l’Edgewater Hotel de Seattle en juillet 1969. Adorable attention, même si des versions ultérieures parlent non pas de l’usage d’un grand prédateur mais plutôt de celui, moins carnassier, d’un… rouget. Tout de suite moins sexy,alors que Led Zep taille de la groupie au kilomètre -pratique, il est vrai, assez banale de la rock star sixties/seventies.

Page, qui ne voyage pas sans ses fouets, dévoie en particulier Lori Maddox, une Californienne de 14 ans lors de leur première rencontre intime en 1972. Pas vraiment sortie du couvent, l’ado a déjà perdu son petit oiseau l’année précédente en compagnie de David et Angie Bowie. Comme si ce gossip sexe, drogue, violence & rock’n’roll manquait un peu de souffre (…), Page porte parfois en scène une casquette nazie et fait du prosélytisme mystico-sataniste, allant jusqu’à racheter la maison, en bord du Loch Ness, ayant appartenu au « magicien noir »Aleister Crowley. Si tout cela est quand même tissé du velours carmin dont on brode les grosses légendes binaires -cf. les Stones- il n’y a pas que la rudesse des Grant & Cole & C° qui soit peu folklo. Il y a aussi les « emprunts »musicaux opérés par Led Zeppelin, principalement dans le répertoire du vieux blues américain: un site tel que Wilson & Alroy’s Record reviews(3) recense pas moins de seize titres « volés » à Willie Dixon, Bukka White ou Blind Willie Johnson. Certains litiges finiront au tribunal, la plupart seront épongés par la légende et les tonnes de fric amassé pendant la relativement courte carrière de la bande des quatre, 1968-1980. Alors, ces temps-ci, Jimmy Page -69 ans en janvier- blanchi sous le harnais, Robert Plant, son cadet de quatre ans, hobo lionesque, John Paul Jones (1946), éternel jeune homme, laissent au batteur Jason Bonham, 46 printemps, remplaçant papa John à l’enclume, le soin de dégager les vibrations néfastes. Place aux jeunes.

(1) SOUS-TITRÉ LES SEVENTIES VOYAGE AU COEUR DES TÉNÈBRES (ÉDITIONS RIVAGES ROUGE)

(2) HISTORIQUE PROMOTEUR AMÉRICAIN

(3) WWW.WARR.ORG/ZEP.HTML

TEXTE PHILIPPE CORNET

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