Le haut du Panier

© ALCOCK

Avec une tchatche imparable, Hadrien Bels croque le Marseille d’hier et d’aujourd’hui, ses quartiers populaires, sa gentrification. Un roman épatant.

Un peu artiste, un peu loser, Stress rêve de tourner un film sur son enfance passée au Panier à Marseille, au-dessus du Vieux-Port. L’histoire d’un groupe d’amis qui a explosé avec la réhabilitation du quartier.  » Dans les années 90, cherche pas à comprendre, y avait le Panier et y avait les autres. Et celui qui te dit l’inverse, c’est un mytho ou un jaloux. » Panoplie de petite frappe mais regard doux comme un agneau, Stress brasse du souvenir comme on mate une VHS de Bruce Willis: en boucle. Quand il se fait son film, il convoque la bande: Ichem, Kassim, Djamel, Ange, le cul assis H24 sur les bancs tailladés au couteau  » Malika la Suceuse » et  » Bonzaï la Balance« . Tous venus d’ailleurs sauf lui, d’Algérie, des Comores ou du Toulon des voyous. Sur la photo de classe, Stress tranchait avec sa peau rose. Mais le régime était le même pour tous: boîtes de nuit afro, tractions sur lampadaire, rastas de contrefaçon. Dans la marmite d’accents pointus, on fume du shit coupé à la paraffine et on tape dans des ballons dégonflés.  » Peut-être que si j’étais adolescent aujourd’hui, je porterais une petite barbe et la djellabah du vendredi midi. » À cette époque, le signe d’appartenance, c’était le choix de la sauce.

Harissa-mayo, frère!

S’il rêve de cinéma, pour l’heure, Stress s’enfile toujours le même plan. Recruté comme caméraman pour mariages orientaux dans les quartiers Nord, c’est drone au-dessus des plages de Cassis, faux cils qui se ferment au ralenti, bisou halal sur le front. Pour les projets artistiques sérieux, c’est à la Friche qu’on se donne rendez-vous,  » pour se faire accompagner » par des emplois subventionnés. Quand Johanna l’introduit dans le sérail pour y pitcher son projet, Stress est partagé entre l’envie de s’en faire des potes et de leur cracher dessus. Ado, c’était une insulte de ressembler à un mec de la Friche. Aujourd’hui, les bobos rénovent les taudis et les touristes adorent ses rues tortueuses, mais les street artists se sont pointés après qu’on a eu fini de mettre tous les pauvres sur le palier de la ville, dans des immeubles avec ascenseur en panne.  » – Comment je me calme? On mange des focaccias à 12 euros, on boit des bières à 7 euros et vous me parlez de gentrification? Mais c’est nous la gentrification, putain! »

Le haut du Panier

Avec une tchatche ébouriffante, ses gueules de voyous et une aisance déculottée digne des meilleures nouvelles de Ravalec, le premier roman d’Hadrien Bels devient illico un ami… Y a dégun qui le touche! On part du Vieux-Port, passe par la Belle de Mai, monte au Merlan avec le soleil en contre-jour… On entend le tintamarre des Golf Bon Jovi « -Bsartek la voiture Djamel! T’as passé le permis? »-, ça sent fort la transpiration et l’odeur que laisse la sixième Heineken. Ça vit! Dans la tête, on se répète: « Cinq dans tes yeux », cette expression pour te protéger du mauvais oeil de l’autre et même de celui que tu pouvais te jeter à toi-même. « Le dernier à la mer sa mère la pute! »

Cinq dans tes yeux

d’Hadrien Bels, éditions L’Iconolaste, 256 pages.

9

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content