Le guérisseur

© Lawrence Watson

Fantomatiques, fines et sentimentales, les chansons rayées de Paul Webb forment un cataplasme sur les blessures intimes comme existentielles.

Au début des années 2000, Paul Webb (1962) adopte le patronyme de Rustin Man. En Belgique, on le connaît peut-être davantage pour avoir produit un bel album pour Dez Mona – Hilfe Kommt en 2009- que pour ses travaux avec Beth Gibbons sur Out of Season -disque de 2002 où l’association avec la chanteuse de Portishead visite un répertoire marqué par l’empreinte de Nina Simone et Nick Drake. Webb/Rustin s’éloigne alors de l’empreinte sonore perpétuée par Talk Talk dont il fut bassiste entre 1981 et 1988, contribuant au répertoire du groupe en signant Living in Another World, la seule composition qui ne soit pas du leader Mark Hollis. Ces touches diverses témoignant d’une approche de plus en plus tactile de la musique se trouvent pleinement épanouies sur ces neuf nouvelles chansons. Pas n’importe comment puisque Webb a voulu apprendre à jouer de tous les instruments (!), étendant le contrôle de sa musique aux arrangements, via une manière particulière de construire l’ensemble. Plutôt que d’enregistrer plage par plage, il a choisi de boucler le processus instru par instru. Un peu comme une chirurgie réparatrice guérissant d’abord les organes vitaux avant de s’occuper des cicatrices esthétiques.

Le guérisseur

De cicatrices, il est d’abord question à la permanence vocale. Pas un hasard si Webb a travaillé avec Beth Gibbons: tous deux partagent une façon de chanter souvent à la limite de la rupture émotionnelle. Une voix bercée de rugosités, traversée de vapeurs personnelles: de la famille des grands enroués, incluant Paul Buchanan (The Blue Nile), Tom Waits imitant Bowie et davantage encore Robert Wyatt, dont la semblable tessiture filandreuse porte les splendides The World’s in Town et Martian Garden. Le genre de morceaux incarnant le son général de l’album: l’équivalent anglais de l’americana -le britannica?- plus proche du folk seventies que, c’est sûr, de Taylor Swift. Ce qui signifie d’éventuelles évanescences psychédéliques, celles d’un jeune Syd Barrett préférant les grandeurs prog aux défonces lysergiques, voire même les moments apaisés de John Martyn. La méticulosité apportée à la production sert le propos: que Rustin Man s’adresse à la fin d’un mariage ( Vanishing Heart) ou à Dieu en personne ( Judgement Train), il en soigne précisément la forme. Dans la façon dont le chant principal va à la rencontre d’une chorale ( Brings Me Joy) mais aussi via une vaste panoplie d’instruments: guitare wah wah, piano, orgue, cordes, bugle, xylophone, sitar et même ce cuivre particulier au rendu fantomatique qui donne partiellement son titre à Euphonium Dream. Autre façon de souligner l’onirisme éveillé d’un album jamais aussi enchanteur que dans son splendide final, All Summer.

Rustin Man

« Drift Code »

Distribué par V2 Records.

8

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