Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

UNE BIOGRAPHIE DOCUMENTÉE DE LA VIE DE ROBERT WYATT CONFIRME QUE L’HUMAIN VIBRE PARFOIS À HAUTEUR D’UN TALENT MUSICAL MAJEUR.

Different Every Time

BIOGRAPHIE DE MARCUS O’DAIR, ÉDITIONS LE CASTOR ASTRAL, 454 PAGES.

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La vie de Robert Wyatt, né le 28 janvier 1945, bascule le 1er juin 1973 lorsqu’il s’écrase d’un quatrième étage londonien. « Selon les médecins, Robert a survécu à la chute du fait que l’alcool avait gardé son corps détendu au moment de toucher le sol. L’impact a brisé sa douzième vertèbre (…) et il s’est retrouvé paraplégique. » Depuis plus de 40 ans, le chanteur à la merveilleuse voix crayeuse est donc représenté en lutin barbu coincé en chaise roulante: a priori, loin d’une première vie, glabre et coureuse, qui commence dans l’Angleterre d’après-guerre. Au sein d’une famille cultivée et férocement excentrique. « Robert était un garçon des plus charmants (…), il était blond, très joli et extrêmement serviable. » Futé dès l’enfance où il ne vit pas d’emblée avec son père, un critique et pianiste reconverti dans la psychologie industrielle qui mourra trop jeune d’une sclérose en plaques. Le fiston vit néanmoins des choses inhabituelles pour son âge, comme partir à neuf ans dans un échange de famille en Autriche ou, l’année suivante, passer un semestre dans une école française. La musique s’immisce dans le cadre bohème, le jazz en particulier, vaste pays imaginaire également peuplé des créatures de Lewis Carroll, de poètes à la Ginsberg et de la pataphysique de Jarry.

Tout cela se fond dans Soft Machine, pas son premier groupe mais celui qui fait l’Histoire en débutant aux côtés du Floyd de Syd Barrett. L’expérimentation est de mise, comme les leçons de Coltrane, tout en appuyant sur le champignon pop: Wyatt, en chanteur-batteur, renverse les coeurs des filles et ceux de la critique. Le bouquin scrute les tournées américaines de fin sixties en compagnie de Jimi Hendrix: exposition au racisme, étourdissement du succès. Robert boit beaucoup mais ne se défonce pas: une éthique perso qui ne l’empêche pas d’être remercié de Soft Machine -en voie de fossilisation- et de créer Matching Mole, où l’amour déclaré du socialisme fleurit dans les audaces musicales. La chute de 1973 enfantera son chef-d’oeuvre de 1974, Rock Bottom, album de mélancolie ultime où le chant de Robert vaut bien celui des sirènes. La seconde partie du livre explore la carrière solo de Wyatt et la relation symbiotique avec sa femme-complice-parolière-illustratrice-ange gardien, Alfie. Une vie riche et cabossée où la reconnaissance des autres adoucit le handicap, sans jamais l’effacer, malgré la complicité d’Elvis Costello, David Gilmour, Björk, Brian Eno ou Jerry Dammers. Trimballant les enregistrements et les engagements multiples, dont un au PC anglais -que le couple quittera à l’époque de la chute du mur de Berlin- et cette devise constante de Robert: « Chercher l’ami chez l’ennemi. »

PHILIPPE CORNET

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