Le grand incendie

Cinq ans après You’re Dead!, Flying Lotus n’a rien perdu de sa maestria. La preuve avec un nouveau disque touffu, un poil long, mais toujours virtuose.

Cela fait maintenant un peu de plus dix ans que Flying Lotus a imposé son groove électronique afrofuturiste, enchaînant les productions expérimentales acrobatiques et complexes. Parfois un poil fumeuses aussi, il faut bien l’avouer, mais toujours charnues et audacieuses. Au point d’ailleurs de déborder plus franchement vers le hip-hop (il se retrouve embrigadé par Kendrick Lamar pour l’essentiel To Pimp a Butterfly), et même redonner en partie au jazz ce qu’il lui avait donné (c’est sur son label Brainfeeder que Kamasi Washington a sorti The Epic). Avec une proposition à la marge, Flying Lotus a réussi à se placer au centre: qui l’eût cru?

Le fait est que le producteur basé à Los Angeles a toujours su créer un récit autour de sa musique. Cinq ans après I’impressionnant You’re Dead!, c’est encore le cas sur Flamagra. Selon l’intéressé, Steven Ellison de son vrai nom, c’est en entendant David Lynch raconter une histoire lors d’une soirée, qu’il a trouvé l’image qui allait lui servir de fil rouge: celle d’une « grande flamme sur une colline ». Sur Flamagra, le réalisateur rejoue d’ailleurs l’épisode : « The fire is coming! The fire is coming! ». On ne pourra évidemment s’empêcher de faire le rapprochement avec les incendies qui ont touché l’an dernier la Californie, les plus meurtriers de son Histoire. Au mois de novembre, l’ashram fondé par Alice Coltrane, la grand-tante d’Ellison, avait même été réduit en cendres…

Le grand incendie

La musique électronique de Flying Lotus a toujours carburé au mystique et aux symboles -du « space opera » Cosmogramma à You’re Dead!, hanté par la mort. Pourtant, derrière les divagations psychédéliques, elle a aussi conservé un caractère ludique, voire carrément trivial (remember le clip de Parisian Goldfish). Pour le dire autrement, Flying Lotus a toujours été moins Michel-Ange que Jérôme Bosch… La pochette de Flamagra rappelle d’ailleurs un peu l’univers du peintre flamand. Plus que jamais, sur Flamagra, les élans sacrés côtoient ainsi le « bassement » terrien. En début de disque, Heroes est basé en partie sur des sons et des extraits du manga Dragon Ball, tandis que plus loin, Tierra Whack s’amuse sur Yellow Belly ( « I put my titties on his face! »). Elle est l’une des nombreux invités avec George Clinton, Solange, Anderson .Paak, Denzel Curry… Fan d’humour absurde, le bassiste Thundercat est également présent un peu partout, dans un générique où les gâchettes jazz ne manquent pas (Brandon Coleman, Dennis Hamm, Taylor Graves ou encore Miguel Atwood-Ferguson). Ils font notamment des étincelles sur un morceau comme Takashi, l’un des meilleurs de Flamagra.

C’est aussi le plus long (plus de cinq minutes). Ailleurs, Flying Lotus préfère en effet multiplier les miniatures. Vingt-sept au total. C’est beaucoup. Sans doute trop. Surtout pour un disque, certes touffu (à l’instar, par exemple, du Jardin des délices du primitif flamand…), mais qui prolonge davantage qu’il agrandit l’univers de Flying Lotus. Soit. À vrai dire, si les amateurs ne seront ici jamais dépaysés, ils ne seront pas déçus pour autant. S’il est aujourd’hui plus balisé, le parcours reste en effet toujours aussi virevoltant.

Flying Lotus

« Flamagra »

Distribué par Warp.

7

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