OU LA TRACE ATYPIQUE DE JIMI HENDRIX DANS LE ROCK ET AU-DELÀ.

Premier octobre 1966, les murs de Londres sont graffités de « Clapton Is God« , à la gloire transie du guitar-hero de Cream qui, ce soir-là, se produit à la Central London Polytechnic. Débarqué en Angleterre une semaine auparavant, Hendrix demande à rejoindre le trio sur scène. Le manager Chas Chandler racontera par la suite comment Eric Clapton a brusquement quitté les planches. A la fois anéanti et bluffé par les stage antics de Jimi qui vient de livrer au public sa version atomisée de Killing Floor. Sidérant et sidéral. L’irruption d’Hendrix en Europe à l’automne 1966 et la carrière-météore des quatre années suivantes -jusqu’à sa mort le 18 septembre 1970- tiennent aussi du désordre cosmique. Le gaucher de Seattle aux ancêtres irlandais et cherokee incarne davantage que l’époque imbibée de psychédélisme: martien aux dextérités vénusiennes, il grave de nouveaux codes, trafique les paramètres, cherche d’autres sacres. Dans le florilège de dessins/peintures intégrant les articles qui lui seront consacrés -par exemple dans Rock & Folk-, l’Afro-Américain est volontiers représenté en alien. Son imposante afro se mute en planète gazeuse ou alors son corps se trouve englué à l’instrument dans une implacable cyber-unité guerrière. A la réactivité fulgurante: McCartney raconte comment Hendrix reprit à son compte Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band en version carnivore deux jours à peine après la sortie du disque original. Au-delà de son goût récurrent pour les covers et une flamboyante virtuosité, Hendrix va modifier la sonorité de la guitare via des innovations techniques. Roger Mayer, qui travaille avec Jimmy Page et Jeff Beck, lui construit une Octavia, pédale reproduisant le son avec une octave de décalage -plus haute ou plus basse- ajoutant à l’original une distorsion fuzz. C’est la recette du solo de Purple Haze, sorti au printemps 1967, et de son refrain chanté, lui aussi très interplanétaire, « scuse me while I kiss the sky« .

Zeitgeist des sixties

Hendrix est un ethno-futurologue: il puise profondément dans les racines du blues américain, et les téléporte dans sa propre quête spatio-temporelle. A l’époque naturellement marquée par la conquête de l’espace -l’alunissage de l’été 1969, le 2001 de Kubrick-, le guitariste américain ajoute une autre stature, celle de l’incarnation politique. Elle n’est pas immédiate: à ses débuts londoniens, il dit son indifférence aux protestations contre la Guerre du Vietnam et parle des enjeux de celle-ci comme d’un péril, forcément rouge, à endiguer. Reliquat d’endoctrinement du soldat Hendrix qui, chopé pour vols de bagnoles, n’a eu que deux choix: la taule ou l’armée. Il passera donc une année en 1961-1962 dans une caserne du Kentucky. La rigidité idéologique se gomme au fil du temps, et lorsqu’il triomphe sur la scène de Woodstock, le 18 août 1969 au petit matin, c’est sa version de The Star-Splangled Banner que les sixties en fin de course retiennent et adoubent. Hendrix y fracasse l’hymne national américain dans le feedback et la distorsion, rejouant aussi le son infernal des bombes et des déflagrations. Face à ce zeitgeist des sixties, Hendrix dira qu’il parle davantage du karma de l’Amérique unie que des atrocités vietnamiennes: mais du symbole, la mythologie rock ne retiendra que l’aspect incendiaire. Tout cela fait un profil assez complexe à glisser dans la simple peau de poster boy, même si Hendrix était un séducteur et une star. Quarante-quatre ans après sa mort (controversée elle aussi), il reste une identité sonore atypique, un funky-blues de science-fiction qui, malgré ses fragrances hippies, demeure totalement unique, frondeur et en grande partie moderne. Aussi parce qu’avec son trio Experience -un Black américain et deux Anglais aspirines- Hendrix monte l’un des tout premiers groupes mixtes. Depuis 1995, c’est la famille Hendrix qui gère l’héritage discographique du fils prodigue et ses innombrables enregistrements. On parle même d’un Graal titré Black Gold, soit seize chansons -à une près- totalement inédites, enregistrées par Hendrix en solo acoustique dans son appart de Greenwich Village début 1970. La légende continue comme dirait l’autre.

PH.C.

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