VINGT-CINQ ANS APRÈS LA DISCRÈTE, CHRISTIAN VINCENT RETROUVE FABRICE LUCHINI POUR L’HERMINE, UN FILM DE PROCÈS QUI EN CACHE BEAUCOUP D’AUTRES

On avait laissé Christian Vincent sur Les Saveurs du Palais, un film où sa caméra furetait dans les cuisines de l’Elysée en compagnie de Catherine Frot, cuisinière du Président. Trois ans après, le réalisateur investit un autre lieu clos à la faveur de L’Hermine (lire la critique page 33), à savoir une cour d’assises, celle de Saint-Omer en l’occurrence. « Mais, précise-t-il d’emblée dans le cadre feutré du théâtre de Namur (il compte parmi les invités du Festival international du film francophone), il y a une différence notable entre ces deux projets: le premier m’a été amené, et je l’ai développé. Tandis qu’ici, Matthieu Tarot, mon producteur, m’a demandé si je n’avais pas envie de refaire un film avec Fabrice Luchini… »

Mine triste et verbe assassin

Christian Vincent et Fabrice Luchini, c’est évidemment La Discrète, comédie marquante du début des années 90, le film qui devait lancer le réalisateur et imposer définitivement le comédien. Leurs routes ne s’étaient plus croisées depuis, le second ayant décliné le rôle principal de Je ne vois pas ce qu’on me trouve, pour le plus grand bonheur de Jackie Berroyer. L’idée de retravailler ensemble percole, reste toutefois à trouver le rôle; celui d’un président d’assises s’imposera par des chemins détournés, du sur-mesure pour Luchini. « Il n’a pas tellement changé en 25 ans, mais il a mûri et s’est énormément assagi. Je suis son travail, et je trouve qu’il s’est drôlement apaisé depuis quatre ou cinq ans. J’ai vraiment été surpris par ce qu’il avait fait dans le film d’Ozon (Dans la maison, NDLR), où il était assez exceptionnel. Il est plus serein, et cela se sent dans son jeu. » Démonstration éloquente dans L’Hermine, où il s’avère proprement irrésistible sous les traits de Michel Racine, magistrat à la mine triste et au verbe assassin. Du pain bénit pour un acteur dont le bagout n’est plus à souligner.

Pour donner corps au projet, Christian Vincent, peu porté a priori sur la chose judiciaire –« Je n’y connaissais rien », si ce n’est, peut-être, par ses lectures assidues de Simenon-, a entrepris un minutieux travail de recherche. Et de suivre notamment deux sessions d’assises de l’intérieur, la première à Bobigny, la seconde à Paris, non sans rencontrer de nombreux pénalistes. Mais si le scénario de L’Hermine est remarquablement documenté, dévoilant les rouages de l’institution à mesure qu’il déroule le fil d’une affaire sordide -un homme est accusé d’avoir tué sa fillette dans des circonstances où le trouble le dispute au glauque-, le propos va aussi au-delà du simple film de procès. « Il fallait nourrir trois aspects dans le scénario: l’audience, afin que le spectateur s’intéresse à l’affaire; les coulisses, et en particulier les jurés, qui sont là, tirés au sort, ne se connaissant pas, et qui vont devoir, pendant quelques jours, composer et prendre une décision importante; et enfin, le parcours intime du personnage », explique le réalisateur.Manière, incidemment, d’humaniser un président « ne nous encombrant pas de sa sympathie », mais dont le profil va s’étoffer avec la réapparition d’un amour ancien, siégeant au sein du jury…

Montrer les choses justes

Et de fait, la qualité du film, sa force aussi, résultent de l’équilibre délicat entre ces trois éléments. Au passage, et presque sans avoir l’air d’y toucher, Vincent en élargit aussi les enjeux. On peut avoir « les slogans en horreur », et faire oeuvre discrètement politique. En réaffirmant joliment le principe de la présomption d’innocence, par exemple. Ou en rappelant son attachement à la juridiction populaire –« il ne faut absolument pas y toucher. La justice est très décriée, elle fait peur, mais c’est un des rares lieux où la démocratie s’exerce. » Voire encore en donnant à son propos un ancrage soci(ét)al tout sauf gratuit, sans verser pour autant ni dans les lourdeurs du film à thèse ni dans le misérabilisme crapoteux « ce qui compte, c’est la manière dont on se place par rapport aux personnages: est-ce qu’on est au-dessus d’eux ou à leur hauteur? Est-ce qu’on fait rire à leurs dépens ou pas?  »

L’Hermine s’ajoute par ailleurs à la liste des films que Christian Vincent a tournés dans le Nord, un choix ne devant rien au hasard. « J’adore tourner dans cette région, où je suis allé pour la première fois pour Je ne vois pas ce qu’on me trouve. Je cherchais à l’époque une ville s’étant transformée en l’espace de 30 ans, et Claude Berri, chez qui je développais le projet, m’a dit d’aller à Lievin, parce que depuis la fermeture des mines, la ville s’était métamorphosée; quelqu’un qui reviendrait après 30 ans ne reconnaîtrait plus rien. » A Lievin succéderaient Roubaix, pour un atelier d’écriture devant déboucher sur Sauvez-moi, et puis Saint-Omer, où il avait tourné le téléfilm Les Complices avant d’y planter le décor de L’Hermine. Un attachement qui ne semble pas près de se démentir, puisque son prochain long métrage aura Calais pour cadre. « Je ne sais pas pourquoi j’aime cette région à ce point. Je m’y sens bien, et j’aime y travailler. Je suis très attentif à tout ce qui est petits rôles, figuration, et tant à Lievin qu’à Roubaix ou Saint-Omer, j’ai trouvé des personnages. Et comme j’adore faire tourner des gens qui n’ont jamais rien fait, et leur confier des petits rôles… » Manière, encore, de rencontrer son souci constant d’authenticité et de véracité, nerf de son cinéma: « Je cherche de plus en plus à montrer mon pays. Je suis très attaché au réalisme, au fait de montrer les choses justes, je suis là pour témoigner. »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers

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