LE TRIOMPHE DE NADER ET SIMIN, UNE SÉPARATION S’EST AJOUTÉ À L’ABSENCE DE JAFAR PANAHI POUR FAIRE BATTRE LE COUR DU FESTIVAL AU RYTHME DE TÉHÉRAN…

Jusqu’au bout, sa chaise est restée vide. Jafar Panahi n’est pas venu au Festival de Berlin et le jury présidé par Isabella Rossellini est demeuré incomplet. Dieter Kosslick, le flamboyant patron de la Berlinale, devait s’attendre à ce que le grand cinéaste iranien, emprisonné (pour 6 ans) et frappé d’une longue interdiction de filmer (pour 20 ans), n’obtiendrait aucune faveur d’un régime théocratique plus que jamais raidi dans ses certitudes. Un régime qui prive de liberté d’autres artistes, comme Mohammad Rasoulof, le réalisateur du superbe Iron Island naguère projeté au Festival de Cannes et dont on est sans nouvelles… Alors même que l’Union Européenne manquait une nouvelle chance de s’affirmer en se taisant face à la répression de manifestations de la jeunesse à Téhéran, la Berlinale a donné l’exemple du courage en réclamant bruyamment la liberté pour les cinéastes « empêchés », et plus largement le respect d’une liberté que plus d’un peuple réclame de l’autre côté du bassin méditerranéen. Car derrière le cas de Panahi, grand cinéaste lauréat de l’Ours d’Argent voici 5 ans pour Hors-jeu, c’est l’ensemble des mouvements de révolte nés au Maghreb et au Proche-Orient qui s’est profilé. L’actualité la plus brûlante infiltrant chaque jour le festival berlinois de résonances supplémentaires, jusqu’à ce matin du mardi 15 février où fut projeté le très admirable Nader et Simin, une séparation d’Asghar Farhadi, futur Ours d’Or évident…

Le choc et l’émotion

On n’avait plus ressenti pareil choc, ni pareille émotion, depuis la projection cannoise de 4 mois, 3 semaines, 2 jours, le chef-d’£uvre du Roumain Cristian Mungiu qui allait recevoir la Palme d’Or 2007. Tout comme lui, le film de Farhadi s’empare d’un sujet on ne peut plus intime (le divorce d’un couple, ses répercussions sur leur fille adolescente) pour descendre aux entrailles d’une société en crise, révélant des cassures majeures tout en ayant pas vraiment l’air d’y toucher. La censure iranienne, heureusement moins lucide que brutale, n’a rien trouvé à redire à une £uvre qui expose pourtant cruellement (même si humainement) les contradictions parfois violentes qui déchirent (et vont déchirer plus encore) le pays. Un incident dramatique, impliquant une garde malade engagée pour veiller sur le père sénile du mari, va en effet permettre de dévoiler le fossé qui se creuse entre une classe moyenne urbaine éduquée, éclairée, en bonne partie occidentalisée, et des milieux populaires travaillés par le ressentiment et brandissant le Coran comme source de règles absolues dans la vie quotidienne. En résumant grossièrement: ceux qui souhaitent la démocratie et le départ du tyran Ahmadinejab (ou à défaut envisagent l’exil) d’une part, et ceux qui lui ont apporté leurs suffrages de l’autre… Que personne ne soit désigné comme le « bon » ou le « méchant » par un cinéaste humaniste et jamais manichéen n’empêche pas le constat de frapper spectaculairement le spectateur. Jusqu’à faire réfléchir au débat sur l’infiltration religieuse du domaine public qui agite nos démocraties européennes bien frileuses sur le sujet…

Nader et Simin, une séparation, c’est le meilleur du cinéma réaliste. Une £uvre captivante, dont le premier plan (les 2 époux, face caméra, s’adressant à un juge pour exposer leurs points de vue opposés) laisse percevoir qu’elle nous passionnera jusqu’à la fin. Et quelle fin! L’Ours d’Or ne pouvait échapper au film d’Asghar Farhadi, ni les prix d’interprétation à ses merveilleux interprètes, couronnés dans leur ensemble par les Ours d’Argent des Meilleurs Acteurs féminins et masculins. Le choix se serait imposé en tout état de cause, même si l’absence dramatique de Panahi et l’actualité brûlante n’avaient pas ajouté un contexte si particulier…

Paradoxes et révélations

L’évidence de Nader et Simin, une séparation, rendait plus qu’improbable la consécration de tout autre film, dans une compétition au niveau global somme toute assez moyen. S’il n’avait été là, nul doute que Béla Tarr aurait conclu sa carrière sur un Ours d’Or. Récompensé par un Grand Prix du Jury, le superbe et crépusculaire Cheval de Turin sera, selon ses propres dires, l’opus ultime d’un cinéaste hongrois bien décidé à ne plus tourner ensuite, alors qu’il n’est âgé que de 55 ans. Un artiste exigeant dont les £uvres clés, Satantango et Les Harmonies Wersckmeister, ont imposé le regard sensible et mélancolique sur le temps qui passe et ne revient pas, sur la beauté poignante et tragique des choses. Un vieux paysan, sa fille, un cheval à l’agonie, de longs plans séquences admirablement composés, un très beau noir et blanc et cette patience organique à scruter le travail de la mortalité: Le Cheval de Turin est bien le testament artistique et philosophique avec lequel Béla Tarr voulait faire ses adieux. Films à sujet socialement, humainement ou politiquement fort d’une part, films à grand enjeu formel de l’autre: les 2 tendances lourdes de la sélection berlinoise se sont une fois de plus retrouvées au menu d’une compétition avare de grands moments, une fois pris en compte les 2 films précités. Le meilleur film en lice, après ceux de Farhadi et de Tarr, était l’âpre et prenant The Forgiveness Of Blood tourné par l’Américain Joshua Marston en Albanie, où une famille subit les conséquences d’une « dispute d’honneur », en clair une vendetta organisée selon une tradition que la jeune génération devrait reléguer aux oubliettes de l’histoire locale. Le Prix du Meilleur Scénario a justement récompensé Marston et son complice en écriture Andamion Murataj. Les Prix du Décor et de la Direction de la photographie attribués au film mexicain El Premio sont eux aussi mérités. Le film de Paula Markovich, vu par les yeux d’une enfant confrontée à la dictature argentine, contenant bien des (douloureuses) beautés. Mais c’est, comme souvent à la Berlinale, dans les sections parallèles que les vraies trouvailles furent à faire. Du côté du Forum avec l’excitant Viva Riva! de Djo Munga. Ou au Panorama avec le touchant Tomboy de Céline Sciamma, l’hilarant The Guard de John Michael McDonagh, ou le passionnant Tambien la Lluvia d’Iciar Bollain, un film qui aurait eu plus que sa place en compétition officielle. Et si chacun s’accorda ( voir notre encadré) à célébrer l’avènement d’une 3D créative, même et surtout dans le documentaire, Berlin 2011 résonna aussi d’un riche paradoxe, des critiques se plaignant de plus en plus du côté aride des films retenus, et un public prêt à accompagner les cinéastes dans leurs plus exigeants parcours… Une autre séparation?

TEXTE LOUIS DANVERS, À BERLIN

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