Des grands festivals internationaux de cinéma, la Berlinale est sans aucun doute celui qui a toujours eu le profil le plus engagé. Le millésime 2016 n’a pas dérogé à la règle qui, en récompensant de l’Ours d’or Fuocoammare, le remarquable documentaire de Gianfranco Rosi, s’est résolument inscrit au coeur d’une actualité tragique, celle des réfugiés. Pour tourner ce film, le cinéaste italien, Lion d’or à Venise en 2013 avec Sacro GRA, s’est installé pendant un an sur l’île de Lampedusa, entre la Sicile et la côte africaine, pour se pénétrer de la réalité de l’endroit. Il en a ramené une oeuvre bouleversante, confrontant le malheur des migrants tentant la traversée de la Méditerranée dans des conditions défiant l’entendement, et le quotidien de Samuele, un gamin d’une dizaine d’années plus préoccupé par la confection d’une catapulte et autres activités de son âge que par le drame se jouant à quelques pas de là. « Je voulais tourner avec des enfants, n’ayant plus eu l’occasion de le faire depuis mon premier film, Boatman, explique le réalisateur, aussi volubile que passionné. Je tenais à adopter le point de vue d’un enfant pour sa sincérité. J’ai voulu relier son monde intérieur à cet autre monde, celui des migrants. »

L’oeil paresseux

Comme le hasard fait parfois bien les choses, il a voulu que le gamin en question souffre d’amblyopie, ce trouble aussi appelé « oeil paresseux » invitant, pour le coup, à la métaphore. « Je veux provoquer une prise de conscience, poursuit Gianfranco Rosi. Nous assistons à l’une des plus grandes tragédies depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais les témoignages sur les chambres à gaz ne sont venus qu’après, les gens ignoraient ce qui se passait, alors que nous, nous savons. Nous sommes tous responsables, mais nous préférons détourner la tête. »

Ne recourant pas plus à une voix off qu’à des commentaires, Fuocoammare ne ménage certes pas le spectateur, et l’image des cadavres de réfugiés amoncelés dans la cale d’un rafiot d’infortune est de celles qui ne s’oublient pas. « J’ai embarqué avec les gardes-côtes qui avaient été appelés lors d’une tragédie. Au moment de la découvrir, j’avais une telle compassion pour ces gens que je ne voulais pas tourner, mais le capitaine m’a convaincu de le faire. Il fallait que le monde puisse voir que de telles atrocités se produisent. » Et si un critique a crié à la « pornographie » a l’issue de la projection de presse, le cinéaste balaie la remarque d’un revers de la main: « Ce qui a été difficile sur le plan éthique, c’est d’être amené à voir de telles choses, mais non de les filmer. Cela ne devrait tout simplement pas se produire, des hommes ne peuvent pas mourir comme cela. La question éthique tient à l’existence d’une telle image et non au fait que je la filme. Cette situation est inacceptable. »

J.F. PL.

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