Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

LA SINGULARITÉ DE BERTRAND BELIN NOYAUTE DES CHANSONS À PRENDRE COMME POTIONS MODESTES POUR EN MESURER LA MAGIE ÉVENTUELLE. AVEC UN LÉGER GRAIN FUNKY.

Bertrand Belin

« Cap Waller »

DISTRIBUÉ PAR PIAS.

8

Il faut toujours un temps d’acclimatation au chant de Bertrand Belin, même au cinquième album. Initialement, on a l’impression que le quadra est prisonnier de ses mâchoires, comme d’un débit maximal de syllabes autorisé par album. Ou alors, rescapé d’une légère aphasie chez l’orthophoniste, exerçant les lettres comme autant de signes atrophiés. Troisième variante: BB a étudié de près Bashung mais dans le processus sonore, les mandibules ont foiré et refaçonné le débit original en un autre rendu, plus ha-ché. Cette particularité du chant s’intensifie d’ailleurs au fil des disques: en réécoutant l’éponyme Bertrand Belin, paru il y a dix ans, on constate un flow plus fluide, sans l’actuel hoquetage, bizarre et coquet. Qui peut faire foutre le camp fissa si on ne se donne pas la peine d’en gratter la croûte.

Cap imaginaire

Belin, chanteur singulier dans l’économie de phrases consenties: celles-ci contrastent avec le sens de l’observation et la décoction des émotions, foisonnante, baroque, multiple. L’air de ne pas y toucher, chaque sujet bénéficie d’un angle non standardisé -parfois inédit- que les mots approchent avec ce ton d’entomologiste tenté par les nouvelles espèces. « Je ne peux plus faire l’altesse » (Altesse), « La silhouette agite la main » (Folle folle folle), « Une épine noire au ciel » (Que tu dis): on n’en tire aucune théorie magistrale, sauf que cela parle beaucoup de solitude et de rupture sur des musiques, légères et doucement funky. Parfois spleen comme le très beau Soldat de conclusion « pli temporel entre l’enfance et la guerre« . Selon ses propres mots encore, BB a voulu ici « mettre le corps en route« , d’où le titre Cap Waller, lieu imaginaire qui pourrait bien être en Afrique. Ce qui, in fine, empêche le genre d’être pure pose ou artefact sémantique, c’est la chimie des musiques avec le vocabulaire. Jamais elles ne supplantent une voix vissée au premier plan, mais la poussent dans d’agréables retranchements, ainsi le chant quasi normal de Je parle en fou. Le tout bien éloigné du syndrome purement littéraire, cet écueil hypra français de références culturelles qui continue à pirater l’expression « chanson » chez nos compliqués voisins. Même si Belin a sorti son premier roman, Requin, au printemps 2015, ses chansons parcourent toujours un no man’s land particulier. Dans une époque obsédée par ses frontières, ces migrations continues de la langue française ne sont pas négligeables.

EN CONCERT LE 08/11 AU THÉÂTRE DE NAMUR DANS LE CADRE DES BEAUTÉS SONIQUES ET LE 28/11 AU BOTANIQUE.

PHILIPPE CORNET

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