Avec Un conte de Noël, Arnaud Desplechin signe un film aux multiples audaces, de sa mise en scène stimulante à sa réconciliation familiale délicate. Du pur bonheur.

Au commencement était le deuil; celui, impossible, d’un enfant, Joseph, mort d’une maladie génétique rare à défaut de donneur compatible. Absence irrémédiable autour de laquelle se cristallise le destin de la famille Vuillard – Abel et Junon, les parents, Elizabeth, la grande s£ur modèle, Henri, le frère conçu dans l’espoir illusoire de sauver l’aîné, et enfin Ivan, le plus jeune.

Les années ont passé, nombreuses, sans que les plaies intimes se soient jamais cicatrisées; au contraire même, puisque Henri, le « mauvais » fils, a été proprement banni de la famille par sa s£ur, avec l’assentiment plus ou moins contraint des autres. Vient le moment – attendu et redouté à la fois – où, sous l’action conjuguée de Paul, le fragile enfant d’Elizabeth, et de la greffe incertaine attendant Junon, les uns et les autres sont invités à enterrer querelles et inimitiés, voire haines le temps d’un réveillon de Noël devant les réunir dans la demeure familiale de Roubaix. Présumées impossibles, les retrouvailles s’avèrent bientôt électriques, et même explosives, entre un Henri au comportement pour le moins erratique, une Elizabeth figée dans un ressentiment dont nul ne semble connaître les raisons, et les innombrables tensions et secrets soigneusement enfouis comme pour pouvoir mieux rejaillir.

SE JOUER DES RÈGLES DE L’APESANTEUR

Débutant à la façon d’un théâtre d’ombres, Un conte de Noël s’attache à la face cachée de ces rapports familiaux tumultueux. Entreprise délicate, dont Arnaud Desplechin s’acquitte avec un mélange d’aisance et de maestria, pour une exploration ajoutant à un sens de l’à-propos aiguisé une forme de jubilation résolument communicative. Il en résulte une £uvre touffue et multiple, convoquant aussi bien la psychanalyse que Stanley Donen, Charlie Mingus qu’un précis de mathématiques.

Formidable film, à vrai dire, qui tout virevoltant et euphorique soit-il – on songe, à cet égard, à The Darjeeling Limited, de Wes Anderson, également autour des liens de sang -, n’en recèle pas moins une densité et une profondeur bouleversantes, en même temps qu’une résonance universelle. Tout en tendant, manifestation d’audace ultime, vers un point d’orgue apaisé.

A divers égards fantasmagoriques, Un conte de Noël semble s’amuser à bousculer les schémas préétablis, comme Mathieu Amalric – magistral Henri, émergeant d’une distribution d’exception, avec encore de mémorables Melvil Poupaud et Emmanuelle Devos – tente lui de se jouer des règles de l’apesanteur. C’est là l’une des nombreuses scènes proprement enivrantes d’une £uvre n’en étant point avare, ce conte se dégustant avec un délice jaloux.

Dans le chef d’Arnaud Desplechin, on parlera d’un cinéaste au sommet de son art, osant ici une mise en scène d’une stimulante inventivité, en même temps qu’il signe un film foisonnant, combinaison imparable de classicisme et de liberté. Grave et léger aussi, à l’image de cette ultime tirade prononcée, un sourire en coin, par Anne Consigny: « Si nous avons déplu, pensez ceci, que vous n’avez fait que dormir. Et tout sera réparé. » Simple effet de (dés) annonce: ce conte-là n’a rien, en effet, d’une histoire à dormir debout. En un mot comme en cent, exceptionnel.

u Un conte de noël. D’Arnaud Desplechin. Avec Mathieu Amalric, Anne Consigny, Catherine Deneuve. 2 h 30. Sortie: 11/06.

TEXTE JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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