Le bénéfice du doute

Sur son nouvel album, Benjamin Schoos cède le micro, alignant de brillantes mélodies pop, en anglais dans le texte, À la fois solaires et mélancoliques.

Benjamin Schoos a plusieurs passions. Plus jeune, c’était le Subbuteo. « Je pourrais m’y remettre. J’avais un bon niveau. » Aujourd’hui, il préfère développer ses talents de ventriloque. Dans une récente vidéo Facebook, il exhortait les spécialistes de la discipline à porter un masque de protection -ce qui avait pour avantage, à la fois de se prémunir du coronavirus et, il faut bien l’avouer, de faciliter grandement la pratique du métier. Malin. On peut toujours compter sur Benjamin -ex-Miam Monster Miam- Schoos pour être créatif. Et farce…

Blague à part, cela fait un moment maintenant que le chanteur liégeois est devenu muet. Son disque précédent – Quand la nuit tombe sur l’orchestre, en 2018- était déjà une compilation d’instrumentaux. On ne l’entend guère davantage sur le nouveau Doubt in My Heart, album pop de haute volée à la mélancolie chatoyante: planqué derrière ses instruments, il a fait chanter ses mots et ses mélodies à une série d’invités. « C’est mon nom sur la pochette, mais ce n’est pas moi que l’on entend. J’aurais pu inventer un groupe fictif, par exemple. Mais je n’avais pas envie de refaire tout ce boulot de com’. Et puis, je ne suis pas le premier à fonctionner de cette manière. Un artiste comme Todd Rundgren a aussi sorti des disques bizarres où il ne chante pas spécialement. »

Boys club

Doubt in My Heart constitue une nouvelle parade de la part d’un artiste qui a toujours adoré ça. Depuis ses débuts, à la fin des années 90, sous le pseudo de Miam Monster Miam, Benjamin Schoos a multiplié les itinéraires bis. Du bricolage lo-fi des débuts -le « Beck de Seraing »- à la pop orchestrale, en passant par les éruptions garage, la case Eurovision, la chanson vintage, et autres. Il est aussi devenu patron de label -Freaksville, le bien nommé-, éditeur, arrangeur et compositeur pour d’autres. Et a redonné de la visibilité à Jacques Duvall, Lio, Marie-France, etc.

Pour ce nouvel album, Benjamin Schoos a décidé de retourner en studio, les mains vides, sans maquettes, ni idées préconçues. « Je voulais retrouver un peu tous les instruments avec lesquels je n’avais plus joué depuis longtemps, et tâtonner, conserver des erreurs. » Dans sa vie personnelle, le musicien a traversé également une période compliquée, marquée par une séparation. Au cours de laquelle la musique a pu servir de thérapie ou de catharsis? « C’est plus compliqué que ça. Personnellement, quand je suis dans un état de tristesse, je ne fais rien. Récemment, j’ai perdu mon ami Marc Morgan. Ça n’a pas du tout été une période créative pour moi… »

Baignant dans une douce mélancolie pop, l’album charrie un vague à l’âme quasi californien par moments. Démarrant avec la même boîte à rythme vintage qui terminait Night Music, Love Songs, album « christophien » de 2016, Doubt in My Heart serait en quelque sorte sa suite plus solaire. Pudique, le désenchantement amoureux de Benjamin Schoos déborde aussi volontiers sur le spleen de l’époque, qu’il observe mi-amusé, mi-effaré. « Vous voyez Pascal Brutal? (la BD de Riad Sattouf, dont le héros absurde est aussi viril que débile, NDLR) Je trouve qu’on est vraiment de plus en plus là-dedans » (rires). La recrudescence d’idées politiques contradictoires, la rapidité de l’info et les réactions des gens qui la commentent. Ou encore le raidissement des positions qui oblige à choisir son camp pour ne pas être catalogué dans l’autre. « Récemment, sur Freaksville, on a sorti une compilation Underground Mutant Pop. J’ai reçu des messages qui s’offusquaient de n’y entendre que des artistes masculins, un vrai boys club! C’est absurde de devoir se justifier. Alors que sur le label, vous trouverez des disques d’April March, Karin Clercq, Lætitia Sadier, etc. Et puis, ce n’est pas une compilation sur les garçons, mais sur les extraterrestres! » (rires)

Benjamin Schoos  baigne dans une douce  mélancolie pop...
Benjamin Schoos baigne dans une douce mélancolie pop…© P. SCHYNS / SOFAM

Cela étant dit, sur Doubt in My Heart aussi, le casting est entièrement masculin. « Ça, par contre, c’est voulu. J’ai enregistré des morceaux avec des filles, mais ils ne rentraient pas dans le cadre. Ce sont quand même des chansons que j’ai écrites, qui sont très liées à ma personne. Déjà que je ne chante pas, je trouvais important d’avoir des gens qui ont un peu le même parcours que moi, des sortes de « frères », qui présentent le même genre de profil. » Soit des musiciens quadra, qui vivent de leur art, pas uniquement comme chanteurs, mais aussi comme arrangeurs, producteurs. C’est le cas de Dent May, Chris Cummings (Marker Starling), etc., dont on notera encore qu’ils sont quasi tous Nord-Américains (hormis Alex Gavaghan, de Liverpool).

Pas de Jacques Duvall donc, fidèle chanteur-parolier, expert en fulgurances douces-amères, mais qui, cette fois, avait d’autres envies d’écriture. « Il faut dire qu’on a déjà écrit plus de 300 chansons ensemble, dont une bonne partie sur cette thématique. » C’était donc l’occasion d’essayer d’autres pistes. D’où des titres en anglais, à l’heure, pourtant, où la langue française a retrouvé une certaine pertinence pop… Ce qui n’a pas échappé à l’intéressé. « C’est vrai, et c’est une très bonne chose. Après, soyons lucides, même en français, je n’aurais toujours pas été raccord avec ce qui passe en radio (sourire). Soit. Ce que je trouve très positif aussi, c’est l’ouverture actuelle pour une musique qui brasse large. La nouvelle génération a accès à un tas de choses et en profite pour bricoler et mélanger. Pour moi qui viens d’une époque où il n’était pas toujours bien vu de faire plusieurs choses différentes, c’est assez réjouissant. » En cela, Doubt In My Heart emmène une nouvelle fois Benjamin Schoos ailleurs, confirmant un parcours qui trouve sa cohérence dans son éclectisme. « J’ai envie de dire plein de choses. Ça a toujours été mon problème. J’aimerais bien être plusieurs, avoir différentes carrières. C’est important de se réinventer en permanence. Sinon on meurt, on devient cette triste personne qui se regarde faire. J’ai toujours eu peur de ce moment où tu crées ton propre langage académique, et où tu deviens ta propre marionnette… » Et c’est un ventriloque qui parle…

Benjamin Schoos, Doubt in My Heart, distr. Freaksville.

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En concert le 25/06, au Botanique, Bruxelles.

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