Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

C’est une jeune femme bien sous tous rapports qui dirige l’agitprop de Recyclart, depuis 10 ans shakeur d’art urbain. Biologiste et urbaniste, cette fraîche quadra imagine un Bruxelles gorgé de trafic culturel où l’on pourrait brûler les feux rouges.

Par une froide après-midi ensoleillée de début mars, la gare de la Chapelle évoque un cimetière de fantômes. Les trains qui parcourent le trajet Nord-Midi y labourent constamment la gueule des voies ferrées, laissant au bâtiment de la gare l’allure d’un déchet du Bronx. Courants d’air monochromes et graffitis saturés. Ce bazar urbain du centre de Bruxelles, où Recyclart taille ses 2000 mètres carrés, est géré par une Laurence que l’on verrait bien à La Monnaie ou au Bozar. Non pas tant qu’elle soit prout-ma-chère -elle ne l’est pas une micro-seconde -, mais simplement, ses gênes apparents nous indiquent quelqu’un d’éminemment terrien, cartésien, raisonnable. On donnerait à cette non-croyante le Bon Dieu sans confession. Peut-être à cause de cette dentition rassurante, de cette allure de pull-over Louvain-la-Neuve vaguement macrobiotique, de femme incapable d’excès…

« Si le Conseil d’administration m’a désignée à ce poste, c’est justement parce qu’il fallait équilibrer le côté fou du projet artistique par quelqu’un à la tête froide. » Fille de deux parents chimistes, elle emprunte le chemin déjà métissé qui va d’une maison à Wemmel (banlieue bilingue bruxelloise) aux très catholiques Dames de Marie dans le quartier turc de Schaerbeek. De ce mélange prémonitoire, elle tire la conclusion que la flûte traversière -qu’elle pratique – ne sera pas suffisante pour l’affranchir du monde moderne…

Passion pour Jarmusch

Déjà dans l’opération Recyclart depuis quelques années, Laurence en devient la directrice générale en janvier 2009. Ce qui l’intéresse, c’est « l’hybridité » de l’entreprise, la façon dont l’asbl bilingue gère ce maelström à la fois culturel, social et urbain. Chef « de type collaboratif », elle ne nie pas son côté c£ur d’artichaut, mais sous des apparences conviviales et polies à l’extrême, bat un vrai projet pour Bruxelles: une ville dont elle tente, à la tête d’une équipe de 35 personnes, de saisir la pulsation intime. Ce qui la fait fonctionner? Les voyages, notamment au Rwanda, chez une amie proche, dont elle revient en relativisant les problèmes de Recyclart, fric ou autre. Elle se dit admiratrice du situationniste Guy Debord mais on retient plutôt sa passion pour Jim Jarmusch. Pas forcément le côté rock de la connexion Johnny Depp-Neil Young mais plutôt cette façon de convoquer le minimum de paroles dans des images maximales se suffisant à elles-mêmes. Cette femme qui ne s’épanche guère en public -« une façon de me protéger »- réside avec son amoureux dans un ancien habitat ouvrier du côté d’Ecaussinnes… « Non, ce n’est pas trahir Bruxelles et ses enjeux, moi je pense en termes d’Unicity, cette agglomération européenne qui réunit Bruxelles, Londres, Paris et Amsterdam. » Laurence sourit – comme souvent – et on comprend alors que les filles faisant de la flûte traversière peuvent aussi prendre les voies de traverse.

u www.recyclart.be

Philippe Cornet

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