À 27 ANS, CETTE JEUNE PHOTOGRAPHE ORIGINAIRE DE LA RÉGION LIÉGEOISE SE DÉCOUVRE COMME L’UN DES REGARDS BELGES LES PLUS PROMETTEURS DU MOMENT.

Éloge de l’intranquillité. Quand on rencontre Lara Gasparotto, c’est cette idée d’intranquillité, chère à Fernando Pessoa, qui vient à l’esprit. Elle se diffuse tant et si bien qu’elle gagne presque le corps. On le sent bien, elle a beau sourire, être agréable, faire son possible, quelque chose dans l’attitude de la jeune femme hurle qu’elle voudrait être ailleurs. On le regrette, on aurait aimé l’apprivoiser et, en même temps, on se dit que c’est mieux comme cela car cette stratégie d’animal insaisissable nourrit son travail. Lui poser consciencieusement des questions de journaliste revient à la soumettre à la torture. Elle triture nerveusement ses cheveux qui passent un sale quart d’heure entre ses doigts. Ses jambes, elles, lui échappent, comme rongées par l’acide de mille fourmis rouges. Elle débite les mots comme une mitraillette et change de position toutes les trois secondes. Du coup, le petit appartement saint-gillois dans lequel elle vient d’emménager s’interprète comme un cloître, une cellule monacale.

Ce besoin d’être toujours en mouvement sous-tend son discours. Elle évoque son enfance à Anthisnes, un village de la province de Liège composé essentiellement de terres agricoles et de forêts, avec une certaine mélancolie. Celle d’une fille de la campagne malheureuse exilée en milieu urbain? Pas vraiment, si Lara Gasparotto a besoin de renouer régulièrement avec ses racines, elle avoue par ailleurs déprimer ferme lorsqu’elle y reste trop longtemps. Et Bruxelles alors? La capitale trouve grâce à ses yeux en raison de sa situation centrale et surtout de la présence de Zaventem, tapis rouge vers d’autres horizons. Elle parle également de l’Ukraine, pays qui la fascine pour la vitalité de ses habitants mais dont elle redoute les hivers posés sur le ciel comme des couvercles. Il y a aussi tous les territoires qu’elle a traversés, du Pérou à l’Ethiopie, en passant par le Mexique et la Chine. Au bout du compte, on comprend que la photographe n’est jamais aussi heureuse que quand elle marche.

Elle s’est d’ailleurs pourvue d’un matériel léger qui épouse cette condition de nomade de l’image: un moyen format Plaubel Makina 67 ainsi qu’un Leica Minulux, deux appareils argentiques. Fuir, dit-elle. Dès qu’elle peut, elle file dans le Condroz pour d’interminables randonnées qui servent parfois de décor à son travail. Ces errances réelles ne sont peut-être rien d’autre que l’écho symptomatique d’une inquiétude plus profonde. « Il m’est impossible de définir mon travail autrement que comme une recherche, un questionnement en cours. Il n’y a pas d’oeuvre à proprement parler car je ne sais pas où je vais… J’essaie juste de rester sincère, de ne pas me laisser enfermer par ce que l’on attend de moi« , explique-t-elle avec conviction. Lara Gasparotto ne réalise peut-être pas à quel point sa volonté de s’affranchir des systèmes et des concepts est opérante. « Hors de » et « loin de » sont les expressions qui reviennent le plus souvent lorsqu’on examine ses prises de vue. Des images simples et immédiates. Hors du temps. Hors des paysages vendus sur cartes postales. Loin des cadres de représentation habituels. Loin des balises posées sur nos imaginaires.

Comme elle respire

Son galeriste anversois se souvient de l’instant où il a découvert son travail: « C’était lors de la Biennale de Marchin. Son travail était exposé dans une maison abandonnée. Les tirages n’étaient pas terribles et pourtant j’ai eu une révélation immédiate. Je n’avais jamais vu ça. Lara ne s’encombre pas de théorie, elle déploie un travail spontané qui puise sa substance dans sa vie de tous les jours. C’est comme un carnet intime bourré d’émotions. Tout s’y mêle, la couleur, le noir et blanc, les portraits, les paysages, les couleurs, les formes, la sensualité… C’est très précieux dans un contexte où la plupart des images actuelles résultent d’une intention préalable qui en altère la nature. » Dries Roelens, qui la considère comme « la photographe wallonne la plus talentueuse du moment« , n’est pas le seul à être conquis: le travail sans artifices -pas de mises en scène et très peu de retouches, « je me permets de pousser parfois les couleurs« – de l’intéressée suscite naturellement l’adhésion de tous. Son itinéraire est celui d’une enfant gâtée. A peine sortie de Saint-Luc, la jeune femme a reçu de nombreuses propositions d’accrochage. Les expositions se sont succédé sans qu’elle ait le temps de comprendre ce qui lui arrive: solo show à la Biennale de Photographie de Liège, Photo Breda, Bonnefantenmuseum à Maastricht, Guandong Museum of Arts (Guangzhou)… A tout juste 27 ans, elle a déjà deux livres derrière elle. Tout s’offre à elle, même si, comme elle le précise, « je ne démarche jamais« . Elle n’est pas diva pour autant. Celle qui vient de signer Ask the Dusk, son second ouvrage qui coupe le souffle, rêve d’ouvrir une galerie pour lancer des artistes émergents, notamment ceux, « bourrés de talent« , qu’elle a croisés en Ukraine. Manière de prouver que l’on peut prendre des photos et pourtant avoir envie de donner.

NOUVEAU LIVRE: ASK THE DUSK, LARA GASPAROTTO, ÉDITIONS LUDION, 160 PAGES.

EXPOSITION: ASK THE DUSK, LARA GASPAROTTO, STIEGLITZ19, 2 KLAPDORP, À ANVERS. JUSQU’AU 29/10. STIEGLITZ19.BE

SOLO SHOW POUR LA RÉOUVERTURE DU MUSÉE DE LA PHOTOGRAPHIE DE LA HAYE, 43 STADHOUDERSLAAN, À LA HAYE. DU 17/12 AU 26/02. WWW.FOTOMUSEUMDENHAAG.NL

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