FRÉDÉRIC SOJCHER INTRIGUE ET DIVERTIT AVEC HITLER À HOLLYWOOD. TOUT EN ENVOYANT QUELQUES FLÈCHES ACÉRÉES À L’INDUSTRIE AMÉRICAINE DU FILM.

Parce qu’il mélange brillamment documentaire et fiction, thriller et comédie, suspense et réflexion sur l’état du cinéma européen face au géant américain, le nouveau film de Frédéric Sojcher est un spectacle excitant mais aussi riche de résonances. Sur une idée apparemment farfelue ( voir notre critique), et sous un titre habilement provocateur, le réalisateur belge de Cinéastes à tout prix donne à penser tout en divertissant. A Paris, Les Inrockuptibles ont parlé d' » attachante curiosité« , L’Express d’un film  » réjouissant et instructif« , Positif de  » jubilation communicative« , Les Cahiers du Cinéma de  » croisement brillant d’Hitchcock et d’Edgar P. Jacobs« , et Le Nouvel Observateur de  » fable instructive« , d’un film  » formellement très novateur« . Une allusion, sans doute, à un procédé technique permettant un usage singulier de la couleur. Une audace dont le cinéaste nous entretient notamment, sans trop dévoiler d’un film prodigue en surprises…

Comment est né ce très singulier projet?

Deux scénaristes sont venus me voir avec leur script, dont le pitch était un complot hollywoodien pour empêcher le cinéma européen d’exister. Ils avaient lu mon livre Cinéma européen et identités culturelles, et vu Cinéastes à tout prix. Ils ne voulaient pas réaliser eux-mêmes et ils pensaient que leur projet conviendrait à un cinéaste quelque peu déjanté… On a retravaillé le scénario, ensemble puis avec une autre scénariste, Catherine Rihoit.

L’idée du thriller était-elle présente dès le départ?

Oui, tout comme l’idée de l’enquête à travers l’Europe. J’ai par contre amené que ce soit une actrice qui enquête en filmant et interrogeant une autre actrice. J’ai aussi apporté le côté bande dessinée dans la mise en scène. Avec, entre autres, le pari du travail sur l’image en postproduction, où l’on a détouré les acteurs principaux pour rendre leurs couleurs plus vives tout en désaturant le reste de l’image, de manière très organique.

Les actrices, tant Maria de Medeiros que Micheline Presle, y amènent beaucoup en termes d’émotions…

C’était nécessaire pour dépasser le cadre cinéphile. Je voulais que quelqu’un qui ne connaisse rien à l’Histoire du cinéma puisse aussi se passionner pour l’intrigue. Cette dernière rejoignant ce genre à part qu’est le film de complot. Sauf qu’il n’y a pas forcément complot, et qu’il ne sera pas facile au spectateur de démêler le vrai du faux…

Tant Presle que de Meideros ont une expérience professionnelle à Hollywood. La seconde est reconnue mondialement pour son rôle dans Pulp Fiction

J’ai très naturellement choisi Maria, avec laquelle j’avais déjà tourné un court métrage, A comme Acteur. Nous étions restés amis, et elle était par ailleurs devenue elle-même réalisatrice avec le documentaire Capitaines d’avril sur la révolution portugaise, et un autre sur les rapports entre cinéastes et critiques, Je t’aime moi non plus. Ce qui pouvait rendre très crédible qu’elle tourne un documentaire sur Micheline Presle. Même si plein de gens l’identifient comme la petite amie de Bruce Willis dans Pulp Fiction, Maria est l’actrice européenne par excellence, elle a tourné dans pratiquement tous les pays européens, elle parle couramment 5 ou 6 langues. J’aime aussi son physique tout à la fois séduisant et évoquant un personnage de bande dessinée. Son côté Betty Boop était parfait pour mon film…

Votre film éclaire, entre autres, le paradoxe de la réalité et de la fiction…

La fiction pouvant être plus proche de la réalité que le documentaire, en effet… Je crois que le cinéma, c’est, fondamentalement, l’art du mensonge. D’un mensonge qui dirait la vérité. C’est pour cela qu’il est si important que chaque pays conserve la capacité de créer ses propres fictions. Car c’est une façon de se raconter. Et que c’est le propre de l’homme d’avoir ce besoin de se raconter. Le formatage prôné par l’industrie du cinéma menace dangereusement cette diversité culturelle pourtant essentielle.

Avant d’évoquer un hypothétique complot hollywoodien, votre film rappelle quel intérêt des dictateurs comme Hitler et Mussolini portaient au 7e art…

Tous les dictateurs européens, Hitler, Mussolini, Franco, ont cru en l’importance du cinéma de fiction, qui fut une priorité pour eux. Imaginez qu’au moment du débarquement allié en Normandie, des avions partaient tous les jours de Berlin pour parachuter non pas des armes, mais des films! Les derniers films produits par la UFA, qui étaient censés soutenir le moral des soldats sur le front… Mussolini, de son côté, a fait construire Cinecittà sur le modèle des studios hollywoodiens. Quant à Franco, il a écrit des scénarios et les a fait produire. C’étaient essentiellement des mélodrames. Pas un seul film de propagande! Avant eux, Lénine avait déclaré que le cinéma était le plus grand des arts, et qu’il était aussi important que l’électricité. Une grande part du peuple n’étant pas alphabétisée, il permettait de s’adresser à tout le monde…

Aux Etats-Unis, et dans un contexte évidemment différent, cette conscience est venue plus tardivement mais avec plus de force encore…

Les hommes politiques américains ont eux aussi très vite compris le pouvoir que peut avoir le cinéma. C’est Roosevelt qui a dit du cinéma qu’il était le plus important produit d’exportation américain, et qu’une fois que la prééminence des films américains à l’étranger serait assurée, le reste suivrait…

L’heure est grave?

Il est plus que temps de réagir, car la part du cinéma européen sur nos propres écrans est de plus en plus réduite chaque année. Le maintien d’une diversité culturelle à travers le cinéma n’est pas un combat corporatiste, mené par et pour des intellos. Cette démarche culturelle n’est pas un luxe, mais une nécessité. Elle représente un important enjeu démocratique. Car toute culture privée des moyens de se raconter est vouée à disparaître… Il serait temps qu’en Europe, les responsables en prennent enfin conscience! l

RENCONTRE LOUIS DANVERS, ILLUSTRATIONS MUGA

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