DANS RESTLESS, GUS VAN SANT RÉUNIT 2 ADOLESCENTS HANTÉS PAR LA MORT, ET SIGNE UN MÉLODRAME DÉLICAT, ÉTRANGEMENT EN PRISE SUR LA VIE…

Cannes, par une belle après-midi de mai. Sur une plage, non loin du Palais, Gus Van Sant rencontre les journalistes par petites grappes successives. Si l’on devine qu’il ne s’agit pas là de son exercice de prédilection, le réalisateur s’y prête néanmoins de bonne grâce. Une question d’habitude, sans doute, couplée à l’absence relative de pression: de la Quinzaine des réalisateurs, à l’époque de Mala Noche, à la Palme d’or, pour Elephant, Van Sant a déjà tout connu, ou presque, du Festival. Restless, son nouvel opus, y fait, pour sa part, l’ouverture de la section Un Certain Regard. Ce qui confère au film l’avantage de la visibilité sans l’inconvénient de la surchauffe médiatique propre à la compétition. Tout profit pour un homme à l’évidence discret.

Révélé à la fin des années 80, Gus Van Sant s’est, depuis, imposé comme l’un des cinéastes les plus passionnants de sa génération. Un auteur capable d’évoluer avec un même bonheur à la lisière du cinéma expérimental pour Gerry, et dans un modèle plus commercial, comme il le fit à l’époque de Good Will Hunting ou, plus récemment, pour Milk. S’agissant de Restless, qu’il a tourné au départ d’un scénario original de Jason Lew, il fait en quelque sorte la jonction entre les différents pôles de sa filmographie: « Je me sens tout à fait chez moi quand je tourne un film comme Gerry , ou Last Days, observe le réalisateur. Ce sont des films que l’on construit sur le tas, en partant de zéro. A l’inverse, Milk était assez préparé, et englobait en outre un contexte politique plus vaste, à savoir celui de la naissance d’une partie du mouvement homosexuel dans les années 70, avec ce que cela suppose comme responsabilité. Pour Restless, il y avait une carte, un scénario, et il fallait représenter ces personnages et leur situation de façon aussi vraie et claire que possible. Mais ce n’est pas un film politique, et l’intensité sociologique est moindre. Le film se situe donc entre les 2… « 

La fleur de l’âge

Habité par 2 adolescents, hantés l’un et l’autre par la mort, Restless s’inscrit d’ailleurs dans la continuité d’une bonne partie de l’£uvre de Van Sant -celle qui conduit de Mala Noche à Paranoid Park en passant par My Own Private Idaho et autre Drugstore Cowboy, et a mis en scène des individus dans la fleur de l’âge confrontés à un univers indifférent. « Le recours à des personnages plus jeunes est une convention qui s’est imposée comme mon assise narrative, approuve le réalisateur. Il s’agit d’un cadre spécifique qui, à l’instar du western ou de l’espace pour d’autres, me permet d’investiguer et de raconter des histoires. Sans doute en ai-je fait une habitude, creusant ma voie jusqu’à m’y sentir en terrain familier, un peu comme John Ford avait pu le faire avec l’Ouest. Ce qui ne l’empêchait pas de s’en écarter pour tourner The Grapes of Wrath , par exemple, tout comme il m’arrive de m’en éloigner, même si j’en ai fait mon cadre narratif privilégié. Quant à la mort, je crois en cette idée, fort russe, qui veut que le récit débouche sur la mort d’un personnage. Quitte, d’ailleurs, à modifier l’histoire originale, comme je l’avais fait pour Mala Noche. « 

Rien de tel sur Restless, pour lequel Van Sant a respecté scrupuleusement le scénario écrit par Jason Lew, une histoire d’amour détournée du classicisme par le contexte unissant ses 2 personnages -un adolescent obsédé par la mort depuis la disparition tragique de ses parents et une jeune fille dont le cancer en phase terminale n’a pas altéré l’appétit de vivre. « Mon rôle consistait à éclairer les idées qui figuraient déjà sur le papier », confie-t-il.

Ce qu’il a fait en conférant néanmoins au film un style reconnaissable entre tous -ce que l’on serait tenté de baptiser la « Van Sant touch », et qui infuse son cinéma d’une délicate mélancolie dont les échos se dispersent dans un mouvement fluide autant que caressant. Il y a là une texture toute particulière, en effet, à laquelle n’est certes pas étranger le travail de Harris Savides, chef-opérateur de 6 de ses films depuis Finding Forrester. « Avec Harris, nous essayons autant que possible de nous en tenir à la lumière naturelle, relève Van Sant, citant les exemples de Elephant, Gerry et Last Days. Et si l’on doit recourir à un éclairage artificiel, comme pour Restless, nous veillons à ce que tout ait l’air aussi naturel que possible. «  Quant à leur collaboration, elle suit, à l’en croire, un modèle immuable: « Au départ, toutes les options sont ouvertes: on peut envisager une photographie façon magazine de mode, ou plus synthétique, voire encore très brute, comme dans un documentaire de Frederick Wiseman qui est une de nos références favorites, au même titre que le photographe William Eggleston (ce dernier ayant même droit à un caméo dans le film, ndlr) . Mais si nous commençons avec une multitude de possibles, nous finissons en général au même endroit: en tournant en 35 mm, et de façon à ce que ce soit un peu laiteux, ce qu’aime Harris et que j’apprécie moi aussi.  »

Je suppose que c’est un film

Rapprochant des solitudes dans un champ cotonneux, Van Sant signe un film on ne peut plus singulier. Et assez éloigné, en tout état de cause, de l’ordinaire de la production des studios – Restless sort sous la bannière Sony Classics. A croire que, fort de ses succès antérieurs, mais aussi d’un statut enviable, le cinéaste de Portland, Oregon, jouit désormais d’une liberté totale. Hypothèse qu’il s’empresse de relativiser: « Je ne suis jamais totalement libre de certaines interférences, même quand il s’agit de films réalisés sur fonds propres, comme Gerry ou Mala Noche. On pense alors que ce sera le cas, mais je me rends compte habituellement que je dois vérifier certaines choses avec des amis, ou un public qui prend alors la place des cadres d’un studio. Je veux savoir ce que ces gens pensent vraiment de l’évolution du film, et évaluer leur réaction. Souvent, celle-ci se révèle assez mauvaise. Je me souviens que pour Mala Noche , un de mes meilleurs amis m’avait dit, après l’avoir vu: « Well, je suppose que c’est un film. » Mais parfois, j’apprécie ce type de réaction, parce que c’est alors que l’on réalise avoir fait quelque chose de nouveau, qu’ils n’ont pas encore vu. Une mauvaise réaction peut se révéler positive, le tout est de connaître la personne.  »

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content