DANS CHEF, QUI POINTE AU RAYON DVD/BLU-RAY, JON FAVREAU, LE RÉALISATEUR DES DEUX PREMIERS IRON MAN, FILE LA MÉTAPHORE CULINAIRE, ET ADRESSE QUELQUES PIQUES BIEN SENTIES À DESTINATION DE L’OGRE HOLLYWOODIEN

« Le problème avec les gros films hollywoodiens aujourd’hui c’est que, peu importe qu’ils soient bons ou mauvais, tant qu’ils offrent du spectacle, qu’ils permettent de s’évader sans prise de tête, tout le monde va les voir. Pourtant, les spectateurs sont sensibles à l’attention que l’on prête à l’écriture du scénario, à la construction des personnages, à l’humour du récit… C’est la même chose avec la nourriture. Les grandes chaînes de fast-food ont pris le pouvoir, mais je suis persuadé que s’il y avait davantage de food trucks proposant une nourriture plus authentique, plus personnelle, dans une gamme de prix et des délais similaires, les gens renoueraient avec le plaisir d’une meilleure alimentation, et recommenceraient même à acheter de bons produits, à se faire à manger. Avec Chef, je voulais montrer que l’Amérique n’est pas qu’un fast-food géant, qu’elle regorge de traditions intenses et métissées, de la Floride au Texas en passant par la Louisiane. »

Pour le plaisir

Acteur, scénariste, réalisateur et producteur new-yorkais, Jon Favreau a commencé petit avant de se retrouver catapulté à la tête de blockbusters aussi maousses que Iron Man (2008) et sa suite, Iron Man 2 (2010). Responsable dans la foulée de l’échec de Cowboys & Aliens (2011), énorme machine SF hollywoodienne au flop retentissant, il choisit alors de ne pas réaliser le troisième Iron Man, et revient aujourd’hui avec Chef, modeste film indépendant qu’il défendait l’an dernier au festival de Deauville.

Au four et au moulin, Favreau n’y laisse à personne d’autre le soin d’interpréter Carl Casper, chef passionné d’un restaurant français bien établi de Los Angeles dont la créativité est étouffée par un patron singulièrement fermé à l’idée de proposer autre chose que les bonnes vieilles recettes qui marchent. Et Casper, lassé de faire des compromis, de finir par jeter son tablier, avant de partir sur les routes dans un food truck cubain pour un salutaire retour aux sources, professionnel et personnel… Intenable le ventre vide, Chef est une célébration du plaisir sous toutes ses formes, à commencer par celui, évident, que Favreau prend derrière la caméra. Critique sans être amer, le film est ainsi avant tout à lire comme un message franc et honnête adressé à l’usine à rêves hollywoodienne, comme un bras d’honneur gentiment rigolard aux incessantes concessions faites par le réalisateur aux pontes des studios. « C’est en effet l’une des lectures que suggère le film. Chef est un food truck, c’est un petit film qui s’est fait avec beaucoup de liberté et d’enthousiasme, à destination d’un public plus restreint. Ceci étant, j’aime toujours les blockbusters, tout simplement parce qu’ils permettent des choses qui ne sont pas possibles avec des petits budgets. C’est là que la métaphore s’arrête: que vous travailliez dans un grand restaurant ou dans une gargote, vous pouvez cuisiner la même nourriture. Il vous suffit d’avoir le matériel adéquat, et de bons produits. Mon prochain film sera une nouvelle adaptation du Livre de la jungle pour Disney. C’est un projet qui ne peut pas se monter avec un petit budget, j’ai besoin d’effets spéciaux, de gros moyens… Je dois en mettre plein la vue aux spectateurs, pour le coup. Mais il y a un prix à payer: je ne pourrai pas jouir de la même liberté. Et ça peut parfois être très frustrant. Pour Chef, j’avais très peu de temps, et très peu d’argent, mais je pouvais faire ce que je voulais vraiment. »

Drôle, instinctif, épicurien, le résultat est réjouissant: à dire vrai, on n’attendait pas Jon Favreau à un tel niveau d’inspiration. Il se dégage en outre de ce feelgood movie généreux jusque dans ses imperfections -un final qui cède à la facilité- le sentiment d’un film fait entre copains -Scarlett Johansson, Sofia Vergara (la série Modern Family), John Leguizamo, Oliver Platt, Dustin Hoffman, et jusqu’à Robert Downey Jr., hilarant en connard prétentieux, sont tous de la partie. Dans la joie et la bonne humeur. « Je suis comme le personnage que j’incarne dans le film: heureux quand je me fais plaisir et que ça plaît. Les deux éléments de l’équation sont importants, selon moi. Surtout quand il s’agit d’une comédie. Honnêtement, si je prépare quelque chose que j’aime mais que personne ne le trouve à son goût, j’en suis dévasté. Mais trêve de métaphores culinaires: je me vois plutôt comme un DJ dans une soirée (sourire). Ma fonction première est de divertir, mais je ne veux pas le faire en ne jouant que des hits connus de tous. J’ai envie que les gens s’amusent sur quelque chose de légèrement différent, d’un peu plus spécial. »

CHEF. DE ET AVEC JON FAVREAU. AVEC AUSSI JOHN LEGUIZAMO, SOFIA VERGARA, SCARLETT JOHANSSON. 1 H 55. DIST: SONY.

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RENCONTRE Nicolas Clément, À Deauville

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