Avec La régate, histoire d’un adolescent battu en phase de reconstruction, le cinéaste belge Bernard Bellefroid signe une première fiction tissée dans l’étoffe d’une réalité complexe.

Premier long métrage de fiction du cinéaste namurois Bernard Bellefroid, La régate est un film qui vient d’un lointain très intime. « Je connais bien Alexandre, écrit le réalisateur dans sa note d’intention. J’ai longtemps regardé le monde avec ses yeux. Comme lui, j’ai longtemps vécu dans une violence que l’on dit « domestique », « privée » mais toujours cachée. «  Sujet difficile, pour le moins, la maltraitance d’un adolescent trouve devant sa caméra une expression crue mais surtout sensible, à l’abri de raccourcis par trop simplistes. Une question de distance appropriée, transcendant la tentation autobiographique: « Ce n’était que le point de départ, après, je ne suis pas resté refermé sur moi-même, explique-t-il dans un sourire, alors qu’on le retrouve dans les bureaux de son distributeur. Il fallait essayer de faire un film généreux pour les autres. » Soit tendre à un équi-libre précaire entre ombre et lumière, entre violence et hypothétique reconstruction, « faire du gris en passant du blanc au noir. Je voulais que la plus grande violence cohabite avec la plus grande potentialité de bonheur. Il ne s’agissait pas de montrer que tout était définitivement perdu et fini, d’où l’aviron et une partie plus lumineuse. »

La régate, Bernard Bellefroid y pense dès sa sortie de l’Insas, en 2003. Il en commence l’écriture, mais s’attèle, dans un premier temps, à la réalisation d’un documentaire, Rwanda, les collines parlent; il y en aura un autre ensuite, Pourquoi on ne peut pas se voir dehors quand il fait beau, autour de la prison et du quotidien des enfants et de leurs parents incarcérés. « Documentaire et fiction, j’aime les deux sports, qui sont très différents, observe-t-il. Ce n’était pas l’un contre l’autre. » De fait, entre-temps, La régate prend lentement forme, 5 ans étant nécessaires à sa réalisation – la solitude du rameur de fond, serait-on tenté d’écrire, s’agissant d’un film où l’aviron occupe une place de premier plan. « Le film a connu beaucoup d’évolutions, poursuit Bellefroid. Au départ, il était beaucoup plus dur, beaucoup plus dans ce que j’aurais tendance à appeler une fausse radicalité. Il y avait plus de violence, c’était implacable, mais à force d’être implacable, c’était comme si je ne filmais pas, comme s’il n’y avait plus de violence, paradoxalement. La violence tue la violence. » Non, pour autant, que l’auteur ait choisi d’en expurger totalement son film. Au contraire, même, puisque La régate semble en superposer différentes strates – la violence domestique, d’abord, sur laquelle le réalisateur se montre économe, mais qui n’en est pas moins proprement saisissante; la violence sociale, ensuite, à peine moins affolante. « J’ai voulu créer des chaînes de violence. Le père est humilié au supermarché, cela justifie-t-il pour autant moralement sa violence à la maison? Le gamin est battu chez lui, cela justifie-t-il son comportement au club? Le monde n’est plus blanc ou noir, le Mur est tombé, c’est bon. Notre environnement n’a jamais été aussi gris et complexe, et je souhaitais, à mon humble niveau, essayer de saisir un peu de cette complexité. »

Images paternelles

Jusqu’à l’aviron, le sport dans la pratique duquel Alexandre trouve un refuge, qui génère sa propre forme de violence, pour ainsi dire vertueuse en l’occurrence. « Je trouvais intéressant que ce gamin violenté se violente lui-même. Le sport, c’est une violence sur laquelle on a prise. Il y a un début et une fin à l’effort, et s’il peut avoir prise sur cette violence-là, peut-être en ira-t-il de même à la maison.  » Une façon aussi de refuser, en ultime recours et un cadre à l’appui, l’engrenage de la fatalité, pour laisser Alexandre face à une possible alternative. « C’est l’histoire de quelqu’un qui est pris entre deux images paternelles: l’une est dans le pouvoir, l’autre dans l’autorité. L’autorité, c’est légitime, le pouvoir, ça ne l’est pas. »

Au sortir de cette expérience, Bernard Bellefroid déborde pour sa part de projets. « Le film a complètement libéré mon imaginaire, j’ai trois scénarios. Les raisons de tourner La régate ont évolué avec l’âge: à 15 ans, c’était pour se venger, à 25 pour comprendre, et là, j’ai réussi à faire un film qui raconte aussi combien c’était une histoire d’amour, mais très grise. Je n’ai pas fait un film thérapie parce que cela a été réglé dans la vie, mais je n’ai pas réussi à écrire autre chose en fiction. Avec le recul, je dois bien reconnaître qu’il y avait là quelque chose de libératoire. »

Rencontre Jean-François Pluijgers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content