Road-movie insolite et déjanté, Eldorado, arpente les chemins de traverse de l’existence en compagnie de deux naufragés magnifiques. Rencontre avec son réalisateur, Bouli Lanners.

Veille de Festival de Cannes. Dans un hôtel du centre de Bruxelles, Bouli Lanners enchaîne les interviews avec un bel appétit. Eldorado, son nouveau film (critique en page 31), a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, perspective qui l’enchante – on le serait à moins -, en même temps qu’elle l’angoisse quelque peu, confie-t-il sans qu’il n’en laisse rien transparaître. Trois ans après Ultranova, le film, un road-movie en dérapage contrôlé, marque une évolution sensible dans son parcours de réalisateur, tout en confirmant la singularité de sa vision d’auteur. Rencontres insolites et moments en apparence fortuits y composent la toile de fond à l’échappée belle d’un duo improbable: un vendeur de voitures qu’interprète Bouli Lanners lui-même ( « après moult insistance de mon producteur », précise-t-il), et son cambrioleur, joué par Fabrice Adde…

Cela vous est arrivé?

Comme souvent, je suis parti d’un truc que j’avais vécu, un cambriolage assez particulier où je me suis retrouvé en face de deux voleurs, dont l’un était planqué, le tout sur un bateau, sans possibilité d’issue. On s’est mis à parler, et j’ai été touché par mes cambrioleurs: pendant un laps de temps, il y a eu un embryon de relation sur une base tout à fait improbable. Je crois en l’homme et j’ai pensé qu’il y avait là quelque chose de possible. Après, cela a foiré, mais cela a fonctionné un temps. Toutes les relations sont toujours possibles; après, elles évoluent comme elles évoluent.

Les personnages du film ont en commun d’être tous en décalage…

J’aime bien les personnages borderline, les naufragés de la vie qui n’ont pas coulé mais sont sur le fil. Cela donne une vision d’un monde fragilisé, sans que l’on doive rentrer dans des explications ou des justifications. Ils sont fragiles, mais ce sont des caractères bien trempés, des personnages qui vivent dans de vrais décalages et l’affirment. Finalement, ils sont tous plus ou moins normaux dans leur monde au sein d’ Eldorado. C’est juste ce monde-là qui est différent.

Le road-movie est le western contemporain. Vous aviez cela à l’esprit en optant pour cette forme?

Oui. J’ai toujours adoré les road-movie, et j’adore les westerns, sans pouvoir en faire. Même aux Etats-Unis, cela n’aurait aucun sens qu’un Wallon aille tourner un western. Le road-movie, par contre, c’est un genre que j’affirme, mes premiers courts métrages en étaient déjà. Ce n’est pas évident de faire un road-movie en Belgique, ou alors il faut le faire sur un laps de temps très court, sans quoi on est tout de suite dans le sud de la France (rires). Je voulais parler d’une relation entre deux personnages se construisant sur quelque chose d’improbable, et le road-movie permettait que les choses se mettent en place naturellement. Je voulais aussi une vieille Chevrolet, et il fallait dès lors qu’Yvan, la victime du cambriolage, vende des bagnoles. Cela fait partie de son spleen, de son ancrage dans le vintage, le monde passé, quelque chose qui me correspond très fort.

De quelle façon?

J’ai deux ou trois vieilles bagnoles, deux vieilles Peugeot 504, la voiture dans laquelle j’ai appris à conduire. Je fais des photos avec un appareil argentique, je ne suis pas passé au digital… Mon gros problème est d’avoir eu une enfance heureuse. Si mes personnages se trouvent dans la nostalgie de relations perdues, c’est parce que je porte en moi cette espèce de nostalgie tout en jubilant dans la vie présente. A travers ces choses vintage, je retrouve les odeurs de quand j’étais petit.(…) Sans être passéiste, je n’aime pas ce vers quoi le monde va, et il y va très vite.

Eldorado est parsemé de touches absurdes, du fétichisme de Philippe Nahon à l’apparition d’un Alain Delon de camping. Par quoi vous ont-elles été inspirées?

La plupart viennent de choses vécues, ou qu’on aurait pu vivre. Je puise dans la réalité, et à un moment donné, quand il faut exagérer, mentir, tricher, épurer, un esprit un peu pervers vient apporter cette touche. Il faut se servir de la réalité et la pousser dans ses retranchements. Dans le cas de Philippe Nahon, c’est une idée un peu tordue, mais ce n’est pas gratuit: le personnage y gagne une dimension dramatique. Quant à Alain Delon, disons que c’est un hommage à celui qui a été mon partenaire de jeu sur Asterix.

A propos d’ Asterix, qu’avez-vous retiré de cette expérience?

Professionnellement, en tant que comédien, c’est tout bénéfice. D’abord, j’y gagne ma vie, cela me permet d’écrire mes films et de partir en repérage sans avoir peur de ne pas assurer mes factures de fins de mois. Ensuite, il faut se nourrir de tout ce qu’il y a dans le cinéma, savoir ce qui se passe ailleurs me sert en tant qu’auteur. Et puis, je continue à apprendre mon travail, tout en y gagnant un côté populaire. Si je ne faisais que des films obscurs, il me serait beaucoup plus difficile de parler de mes propres films. Asterix me donne un côté populaire qui permet à la presse de faire un pont entre les deux. Mais c’est clair qu’entre Eldorado et Asterix, c’est le grand écart. Mais c’est aussi cela qui est gai, passer de l’un à l’autre.

ENTRETIEN JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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