PAWEL PAWLIKOWSKI INSCRIT DANS LA POLOGNE DE L’ORÉE DES ANNÉES 60LE PORTRAIT SENSIBLE D’UNE JEUNE NOVICE S’OUVRANT SUR LE MONDE À LA VEILLE DE PRONONCER SES VoeUX. UN FILM DE TOUTE BEAUTÉ.

Ayant grandi à Varsovie dans le courant des années 50, Pawel Pawlikowksi a mené l’essentiel de sa carrière en Grande-Bretagne où, après des documentaires pour la BBC, il signait, en 2000, le remarqué Last Resort, où il s’intéressait, par l’intermédiaire d’une émigrée russe et de son gamin, au sort des réfugiés arrivés d’Europe de l’Est, avant de révéler Emily Blunt dans My Summer of Love, le récit cruel d’une fusion adolescente au féminin. Après un détour par Paris, le temps d’une adaptation de Douglas Kennedy -la borgésienne Femme du Ve étage-, le voilà qui retrouve aujourd’hui sa Pologne natale pour Ida. Soit le portrait fascinant d’une jeune novice invitée, à la veille de prononcer ses voeux, à se replonger dans l’histoire familiale et, partant, dans celle, mouvementée, du pays, au contact de sa tante Wanda, dignitaire revenue du communisme. Et une sorte de retour aux sources pour un réalisateur qui a d’ailleurs situé le récit à hauteur de ses souvenirs, au tout début des années 60, comme il nous en faisait part lors du dernier festival de Marrakech.

Pourquoi avoir choisi de retourner en Pologne?

Il n’y a pas une seule raison précise. Après La femme du Ve étage, qui était un film fort intérieur et cérébral, tenant du solipsisme, j’ai voulu en tourner un qui soit plus connecté à l’Histoire et au monde extérieur, à mon passé et à mes racines. J’éprouve une grande nostalgie pour le début des années 60, dont je me rappelle à travers le prisme de l’enfance. J’en chéris le souvenir, qu’il s’agisse de la musique ou des paysages, et je m’étais toujours dit que si je retournais un jour en Pologne, je reviendrais sur cette période. Les films font partie d’un voyage, et après m’être pas mal baladé, puisque j’ai vécu longtemps en Angleterre et un peu en France, j’ai ressenti le besoin de revenir à quelque chose de simple qui me soit familier.

Le film est-il lié à des souvenirs précis que vous aviez gardé de l’époque?

Sur le plan de la narration, non. Mais bien sur le plan de l’univers dans lequel baigne l’histoire: les paysages, le son, ce mélange de réalisme socialiste propre à cette époque, et d’influences plus cool venues d’ailleurs, que ce soit dans la musique, jazz ou pop, les voitures… Ces éléments, presque naïfs, m’attiraient, mais aussi le fait qu’il s’agisse d’une période fort intéressante de l’Histoire de mon pays. La Seconde Guerre mondiale était terminée depuis 17 ans, tout en restant encore palpable, et la phase de terreur du stalinisme s’était à peu près achevée quelques années plus tôt. Avec les sixties, il y a eu un élan de vitalité, une joie de vivre (en français dans le texte, ndlr). La Pologne de l’époque m’apparaît comme un pays fort original, beaucoup plus qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’était, au sein du giron communiste, le pays le plus vivant, le plus ouvert et le plus créatif, une fenêtre sur le monde. Mon film est aussi un hommage à une certaine Pologne.

La Foi occupe une place centrale dans le récit…

En Pologne, la Foi est indissociable de la Nation: être Polonais signifie souvent être catholique. Il y a des raisons historiques à cela: la Pologne a été occupée par les Russes, qui étaient orthodoxes, et par les Prussiens, qui étaient protestants. L’église catholique est en quelque sorte devenue la garante de notre identité. Ce qui a eu pour effet que la dimension transcendantale de la religion a été éclipsée. Elle est devenue une notion d’ordre tribal, plutôt que le moyen d’accéder à une foi universelle transcendantale. C’est une question que j’ai voulu aborder à travers le personnage de Ida. Mais j’ai aussi voulu témoigner de la complexité des engagements à travers sa tante, Wanda, communiste convaincue dans sa jeunesse, mais dont la foi s’est effritée parce que le marxisme est devenu une parodie dans les faits; un être complexe et multiple, incapable de réconcilier ses différentes facettes.

Comment avez-vous arrêté les choix esthétiques forts -noir et blanc, cadre- présidant à Ida?

Ils sont dus, en partie, à la période, que je me représente en noir et blanc: j’en ai le souvenir à travers les albums de famille en noir et blanc, qui ont nourri l’atmosphère du film. J’ai choisi par ailleurs le format 4:3, qui limite le champ de vision, et je n’ai pas effectué de mouvements de caméra. Je voulais ramener les choses à l’essentiel: suggérer le plus en montrant le moins possible. Et ne pas avoir de couleur, de bruit ou de mouvement participait de ce désir. C’était aussi une façon de m’échapper du monde et du cinéma d’aujourd’hui, saturés de bruit, de mouvement, et d’informations, là où Ida n’en donne que fort peu. On peut, dans une certaine mesure, parler de film utopique.

Agata Trzebuchowska, la débutante qui joue Ida, est extraordinaire. Comment l’avez-vous choisie?

Je cherchais depuis longtemps sans succès une jeune actrice susceptible de jouer une nonne. J’ai donc demandé à mes proches d’ouvrir l’oeil. Et une de mes amies l’a dénichée dans un café de Varsovie. Elle ne savait pas précisément ce que je cherchais, et me l’a décrite comme très cool, rebelle, une créature de la nuit, soit exactement tout ce dont je ne voulais pas. Elle m’a néanmoins envoyé par courriel une photo qu’elle avait prise en catimini, et Agata m’a semblé avoir quelque chose d’intéressant, assez pour me donner envie de la rencontrer. Sous les habits et le maquillage, j’ai découvert une fille sérieuse, la première de toutes celles que j’avais rencontrées qui n’aie pas envie de devenir actrice. Cela l’a déjà rendue spéciale à mes yeux. Et puis, elle m’a dit être athée, chose qu’elle prenait fort au sérieux, alors que la plupart des actrices qui étaient venues auditionner soutenaient, après avoir lu le scénario, avoirtoujours voulu devenir nonne, et être fort croyantes. Elle était honnête, et pas du tout théâtrale: elle ne recourait à aucune grimace faciale pour communiquer, ce que nous faisons tous, et cela correspondait à mon idée d’Ida, qui a grandi dans un endroit où l’on ne procède pas de la sorte. Et enfin, elle avait quelque chose d’intemporel -Agata n’a pas l’air d’être d’aujourd’hui…

Voyez-vous plutôt votre avenir de cinéaste en Pologne ou en Grande-Bretagne?

J’ai des histoires qui se passent ici et là, je ne sais donc pas vraiment. Cela dépend du film qui se met en place, non pas financièrement, mais bien dans mon esprit. Il faut une petite quelque chose pour que le déclic se produise. Mais j’aimerais pouvoir tourner des films plus souvent en Pologne. En Angleterre, je dois toujours passer par les marges: des ados, des réfugiés, des dingues. Tandis qu’en Pologne, le centre lui-même est dramatique, intéressant historiquement, et chargé de paradoxes -en un sens, c’est plus intéressant que le cinéma. Les films devraient tendre à cela.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Marrakech

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