RETROUVANT JOHN MADDEN, SON RÉALISATEUR DE MRS BROWN ET DE SHAKESPEARE IN LOVE, JUDI DENCH A EMBARQUÉ POUR LE PLUS FASCINANT DES VOYAGES. RÉCIT D’UN ÉBLOUISSEMENT.

Protocolairement, il s’agirait de lui donner de la Dame Judi Dench. Plus de 50 ans de présence sur les planches et sur les écrans, auréolés de sept Laurence Olivier Awards et de Baftas encore plus nombreux, en ont fait une véritable « british institution », en effet, certifiée par le titre de Dame Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique. Encore que là, alors qu’on la retrouve dans un hôtel londonien, elle n’en laisse rien paraître, modèle de simplicité témoignant du même enthousiasme qu’au premier jour -c’était en 1957, dans le rôle d’Ophélie, sur la scène vénérable de l’Old Vic.

Depuis, Judi Dench s’est multipliée sur divers fronts; soit, suivant l’ordre de ses affinités, le théâtre, la télévision et le cinéma -ce dernier, à doses homéopathiques à compter du milieu des années 60, de façon plus soutenue depuis le milieu des années 90. Richard V, Hamlet, Mrs Brown (la première de ses six nominations aux Oscars, dont l’une convertie en statuette, pour Shakespeare in Love), Tea with Mussolini, Iris, Pride and Prejudice, sa filmographie présente, a priori, des contours on ne peut plus classiques. Qu’on ne s’y trompe pas, cependant: depuis 1995 et GoldenEye, elle est aussi l’inamovible M de la série des James Bond -de quoi se poser une nouvelle fois, incidemment, en joyau de la Couronne. A quoi elle a ajouté diverses lignes de fuite, elle qui s’essaya au musical dans Nine, qui s’offrit une apparition dans le dernier Pirate des Caraïbes, et que l’on retrouve aujourd’hui dans The Best Exotic Marigold Hotel, comédie dramatique qui envoie une escouade de seniors anglais couler une retraite moins paisible qu’escompté au c£ur du Rajasthan .

Sous le charme

L’Inde a exercé son pouvoir de fascination sur des générations de voyageurs (sujet d’ailleurs largement repris à son compte par le cinéma, lire ci-dessous), ce n’est pas Judi Dench qui démentira, elle dont le regard s’illumine à sa simple évocation: « E.M. Forster (l’auteur de A Passage to India, ndlr) a dit qu’après avoir voyagé en Inde, la vie n’était plus jamais pareille. J’avais écrit cette phrase au dos de mon journal, me demandant si cela se vérifierait. Et comme le dit à un moment Evelyn, le personnage que j’interprète, l’Inde se révèle un véritable assaut pour les sens. A peine étions-nous arrivés que j’ai eu l’impression d’être sous l’effet d’un charme. » Et d’évoquer, pêle-mêle, la gentillesse des gens, la beauté suffocante de l’environnement, le festival permanent de couleurs et de senteurs, et le bruit extraordinaire, mais aussi, « par-dessus tout, le voisinage de l’opulence la plus grande et de la plus extrême pauvreté ». Soit une expression saisissante du choc des cultures, éprouvé de plein fouet -ce qu’elle a d’ailleurs, pour ce dernier aspect, fait suivre d’effet, puisqu’elle s’est lancée dans un projet éducatif, dont elle vous dit, modeste: « Je tenais à apporter ma contribution, d’une façon ou d’une autre. Même si toute l’aide que l’on peut fournir représente moins d’une goutte d’eau dans l’océan ».

Le choc des cultures, c’est également l’un des éléments de l’histoire, aux côtés de sa composante démographique, qui ont attiré John Madden, le réalisateur oscarisé de Shakespeare in Love. « La perspective de tourner en Inde me paraissait intéressante. Voilà des gens qui pénètrent dans un monde où leurs valeurs habituelles sont suspendues, et où ils sont en proie à une forme d’ivresse. Leurs différences s’évaporent, la jeunesse et la vieillesse se trouvent juxtaposés. Soit un terreau fort riche, susceptible de donner un ton particulier au film, sans qu’il y soit seulement question de rire, le piège potentiel d’un film portant sur un groupe d’Anglais se rendant en Inde. » L’autre étant de verser dans l’image de carte postale, ce que le réalisateur s’est employé à contourner en se pliant aux contraintes logistiques imposées par un environnement inédit. « Le Marigold Hotel se trouvait en dehors d’Udaipur, dans le désert. Cela me privait de deux heures de tournage chaque jour, le temps de faire l’aller-retour, mais c’était un cadre entièrement sous contrôle, en dehors de quelques intrusions de la nature. Mais une fois que l’on tourne en ville, comme à Jaipur, tout se révèle incroyablement difficile. L’idée que l’on puisse y provoquer un embouteillage est risible, puisqu’on est au c£ur d’une sorte d’engorgement permanent, mais les autorisations pour tourner ne sont néanmoins délivrées qu’au compte-gouttes. C’est une ville totalement chaotique, à un point que l’on ne tolérerait pas ici, mais dont tout le monde s’accommode là-bas: de l’éléphant aux scooters en passant par les camions, les tuk tuks, les voitures, tout le monde se dispute un même espace. Mais on peut aussi compter sur des équipes fort expérimentées -il faut composer avec ces différents paramètres. » Et se fondre dans le mouvement, histoire de capter le pouls de la rue qui est aussi celui de la vie.

Une touche de zénitude

Un an après le tournage, le charme qu’évoquait Judi Dench semble ne pas encore s’être dissipé: « En allant en Inde, c’est comme si la surface de ma peau était devenue beaucoup plus sensible qu’elle ne l’avait jamais été. Ma compréhension des choses a changé, ma vision s’est élargie. » Ce qui s’appelle une expérience bouleversante. Et comme le monde est parfois bien fait, la comédienne a enchaîné avec un autre éblouissement, le tournage de J. Edgar, pour Clint Eastwood.

Pour le coup, l’actrice se fend d’un joli numéro, joignant le geste à la parole alors qu’on l’invite à évoquer leur rencontre: « On m’avait parlé du rôle, et voilà qu’un jour, le téléphone sonne. A l’autre bout du fil, une voix me dit (elle chuchote) : « Hello Judi, this is Clint. » Et moi: « Sorry, la ligne est assez mauvaise. » « Judi? This is Clint here. » Et moi: « Brendan, arrête un peu » , convaincue qu’un ami acteur me faisait une blague. Mais c’était bien Clint Eastwood. Je me suis donc rendue là-bas, le premier jour du tournage est arrivé, et je suis allée sur le plateau où, soudain, j’ai senti une main sur mon épaule. Lorsque je me suis retournée, j’ai vu cet homme, immense. C’était juste délicieux -c’est le plateau le plus tranquille sur lequel je me sois jamais retrouvée… » De l’Inde à la Californie, une même touche de zénitude…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À LONDRES

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