La religion du livre

Alberto Manguel © CATI CLADERA

L’amour des livres, au cOEur d’une « élégie et quelques digressions » d’Alberto Manguel. Et d’une enquête un peu vaine sur un voleur bibliomane.

Même s’il fait de moins en moins le poids face aux écrans, le livre n’a pas dit son dernier mot. Des inconditionnels continuent vaillamment d’entretenir sa flamme. Et ce n’est sans doute pas un hasard si c’est au moment où il est menacé comme jamais depuis 550 ans que fleurissent les essais ou témoignages exaltant les vertus de la lecture et du support papier. Une manière de rappeler à ceux tentés de brader ce formidable outil de connaissance, de transmission, de divertissement, de consolation que rien ne pourra jamais le remplacer. Pas même un écran 4, 5, 6 ou 7K. Une question de mémoire, de traces, d’incarnation, de mystère, de magie aussi.  » Lorsque je suis dans une bibliothèque, n’importe quelle bibliothèque, écrit Alberto Manguel dans sa dernière méditation sur son objet fétiche, inspirée cette fois par la douloureuse expérience de devoir déménager les 35 000 volumes de sa bibliothèque d’un vieux presbytère situé dans le Sud de la France vers un… garde-meubles au Canada, je me sens transféré, par un tour de prestidigitation que je n’ai jamais vraiment compris, dans une dimension verbale. Je sais que mon histoire vraie se trouve tout entière ici (…). »

Un voleur à la page

C’est donc un peu de son être et de son âme que l’auteur a mis en boîte. Alors forcément, ça remue. Notamment les souvenirs de l’enfance, dont les fantômes hantent les rayonnages, mais aussi les méninges, chaque livre manipulé ouvrant de nouvelles pistes de réflexion chez l’Argentino-Canadien: sur le rôle des bibliothèques publiques dans la lutte contre la solitude, sur le degré de trahison de la traduction ou sur son rapport passionné mais parfois ambigu à ces compagnons de voyage, lui qui a  » conscience de la mesquinerie, de l’égoïsme dont semble témoigner cette envie dévorante de posséder les livres que j’emprunte« . En fidèle disciple de Borges, sa pensée vagabonde sans plan de route, entrecoupée de digressions qui sont comme des îlots affleurant à la surface du flot des pensées intimes. On progresse dans ce tourbillon érudit -mais jamais empesé- comme dans un cabinet de curiosités peuplé de figures classiques et inspirantes. Pour cet intellectuel à la pensée souple, ce n’est pas la destination qui compte mais le cheminement, avec pour seule boussole les mots, ces puissants remèdes contre la mélancolie et les affres de l’exil.

La religion du livre

Alberto Manguel est ce qu’on appelle un bibliophile. Sur l’échelle de la passion, voire de la dépendance, il y a pourtant pire que lui: les bibliomanes. Un spécimen pour qui le livre est aussi vital que l’oxygène. C’est à cette espèce que s’est intéressée la journaliste américaine Allison Hoover Bartlett. Dans un récit de non-fiction à mi-chemin entre l’enquête policière et l’émission Strip-tease, elle tente de cerner le parcours de John Charles Gilkey, voleur compulsif de livres anciens, très actif au début des années 2000. Au fil de ses rencontres avec l’intéressé et ses victimes, elle découvre un monde à part, celui des collectionneurs, mais se perd dans les détails insignifiants et prend surtout un peu trop au sérieux celui qui n’est au fond qu’un psychotique en « mission ». Ça manque clairement de sauce gonzo. La faute peut-être à une traduction insipide, laquelle n’est toujours qu’un brouillon de l’original, comme le rappelle très justement Manguel.

Je remballe ma bibliothèque

D’Alberto Manguel, éditions Actes Sud, traduit de l’anglais (Canada) par Christine Le Boeuf, 160 pages.

7

L’homme qui aimait trop les livres

D’Allison Hoover Bartlett, éditions Marchialy, traduit de l’anglais (États-Unis) par Cyril Gay, 300 pages.

5

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