PÉCHÉS DE JEUNESSE – ARRACHÉ À L’OUBLI, DON CARPENTER CONFIRME AVEC CETTE PHOTO DE CLASSE QU’IL EST BIEN L’UN DES ÉCRIVAINS AMÉRICAINS MAJEURS DU XXE SIÈCLE. CARRÉMENT.

DE DON CARPENTER, ÉDITIONS CAMBOURAKIS, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR CÉLINE LEROY, 144 PAGES.?

Les tiroirs de la littérature américaine regorgent de trésors qu’aucun éditeur francophone n’a pris la peine (le risque?) de traduire à l’époque de leur sortie. Une injustice que le travail de fouille de certaines petites structures permet aujourd’hui en partie de réparer. Steve Tesich (Karoo), Frederick Exley (Le dernier stade de la soif) ont ainsi été repêchés sur le tard de l’anonymat. Tout comme Don Carpenter, découvert l’an passé grâce aux éditions Cambourakis avec un de ces romans qui marquent une carrière de lecteur, Sale temps pour les braves, paru à l’origine en… 1966. Et réédité en 2010 aux Etats-Unis puisque même sur ses propres terres, cet auteur pourtant vénéré par Norman Mailer ou Thomas McGuane n’avait pas eu de son vivant (il s’est suicidé en 1995) le succès qu’il mérite.

Désormais disponible aussi en poche (chez 10/18), ce sacré bouquin s’immisce dans l’intimité d’une bande d’adolescents livrés à eux-mêmes et à la dure loi de la débrouille dans les rues de Portland, Oregon, au tournant des années 50. Orphelin et habité par une violence qu’il a bien du mal à contenir, Jack Levitt traîne dans les tripots avec des canailles de son espèce comme Denny la petite frappe dandy ou Billy l’as futé du billard. Tous rêvent de mener la grande vie. Mais la seule voie qui s’ouvre devant eux dans l’immédiat c’est celle de la délinquance. Douloureux comme une brûlure de cigarette, les moments de lucidité sont vite noyés dans l’alcool et les plaisirs tarifés. Leurs destins vont se croiser, s’entrechoquer parfois, au gré des (més)aventures où les mènent, maison de correction d’abord, prison ensuite, des existences toujours sur le fil du rasoir. A la fois chronique sociale et roman carcéral, ce livre rugueux et aérien, brutal et, osons le mot, biblique, déniche l’humanité sous une couche de poussière épaisse et collante. Richard Price n’est pas pour rien le fils littéraire de ce romancier à la plume taillée pour le granit noir du réel.

Mouvement minimaliste

L’accueil enthousiaste réservé à cette fresque de la marge a logiquement conduit Cambourakis à exhumer un autre titre sur la dizaine que l’Américain a laissé à la postérité. Plus court, plus raffiné en apparence, ce récit n’en est pas moins redoutable ni moins désenchanté que Sale temps… Telle une pellicule photo de 24 poses pour autant de saynètes, La Promo 49 tire le portrait kaléidoscopique d’une jeunesse sur le point de basculer dans le monde adulte. Nimbée comme par anticipation de nostalgie et bercée par une musicalité d’une pureté de diamant, cette longue nouvelle qui a également pour cadre Portland capte dans ses filets les doutes, les espoirs, les craintes qui cueillent la jeunesse, celle de 1949 comme celle d’aujourd’hui, à cet instant crucial où elle quitte le nid scolaire et s’aventure dans la « vraie » vie. En quelques mots élégants et avec un art consommé de la suspension, l’auteur rend la tension d’une reine de bal, la maladie qui frappe trop tôt, la honte d’un corps imparfait, la tentation du challenge viril, les désordres amoureux ou encore la rumeur avilissante. Autant d’instantanés aussi brefs que fulgurants composant au final un bouquet vaste et complexe comme l’Humanité. La gravité n’empêche pas l’humour, ni l’émotion une clairvoyance pénétrante. Don Carpenter. C’est promis, juré, craché, on n’oubliera plus ce nom.

LAURENT RAPHAËL

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content