La poudrière des Andes

Nicolas Bogaerts Journaliste

la série retraçant la lutte contre les narcotrafiquants tire un trait sur le fantasmagorique et aborde la collusion des intérêts et le cynisme géopolitique.

Narcos Saison 3

Une série Netflix créée par José Padilha. Avec Pedro Pascal, Matias Varela, Damián Alcázar, Alberto Ammann, Francisco Denis, Javier Cámara. Disponible sur Netflix.

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Mise en ligne le 1er septembre dernier sur la plateforme de streaming, la nouvelle saison de Narcos débutait débarrassée de la figure monstrueuse et fascinante de Pablo Escobar. Il avait bien fallu deux saisons pour étaler l’irruption spectaculaire, la traque et la chute lugubres du patron du cartel de Medellín, qui a imposé dans la mémoire collective l’archétype du narcotrafiquant, eu égard à ses états de service, son profil terrifiant, complexe et fascinant (rendu admirablement par Wagner Moura). Garni de quelques éclairs de poésie surréaliste (elle s’ouvrait sur une description du réalisme magique et de ses irruptions d’étrangeté, nées sous la plume de l’écrivain colombien Gabriel García Márquez), la série de José Padilha, aussi violente qu’intelligente, s’est d’emblée enracinée dans le cadre historique, économique et politique qui a vu fleurir le trafic mondial de cocaïne. Elle a brillamment montré les rivalités et alliances contre-nature entre les cartels colombiens rivaux, les guérillas communistes ou fascisantes, le monde politique et judiciaire, les services de police et de renseignement colombiens et américains.

Plus resserrée, la troisième saison poursuit cette vocation semi-documentaire, révélant peu à peu les stratégies sélectives et les enjeux secrets de cette guerre sainte contre la drogue. En 1993, sous Clinton, l’agent de la Drug Enforcement Agency Javier Peña (sans Murphy rentré au bercail) se morfond dans un bureau. La mort d’Escobar a permis à l’influent cartel de Cali d’avoir la mainmise sur le trafic mondial: un autre style, plus discret, celui des couvertures honorables et des appuis achetés à coups de millions, savamment consignés par le comptable Pallomari (stupéfiant Javier Cámara, acteur fétiche d’Almodóvar). Les frères Rodriguez ainsi que Pacho et Chepe, les « gentlemen » de Cali, ont passé un deal avec le gouvernement: peine minimum de prison contre reddition et retraite dorée. Ce qui ne sera pas du goût des autres trafiquants qui vont relancer une guerre des gangs où s’ébroue la CIA, et offrir une fenêtre de tir à Peña et son équipe pour régler les comptes. L’absence d’Escobar est ici comblée par le personnage de Jorge Salcedo (Matias Varela, révélation), chef de la sécurité du cartel et pivot d’un récit qui devient de plus en plus haletant et passionnant d’épisode en épisode, de séquences audacieuses en révélations stupéfiantes. Aussi, Narcos fait perdre tout pouvoir de séduction ou de subversion à la coke, qui n’est ici que l’accessoire d’une dramaturgie plus large et complexe, celle d’une guerre qui s’est déroulée dans les contre-allées de l’Histoire des années 90 et qui continue encore aujourd’hui de livrer son lot quotidien de sang.

Nicolas Bogaerts

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