La possibilité d’une île

Avec Celestia, l’auteur italien Manuele Fior entre au panthéon des grands de la bande dessinée transalpine en s’attaquant à Venise, ses mythes et ses mystères.

En 2013, Manuele Fior publiait L’Entrevue aux éditions Futuropolis, où il racontait l’avènement d’une nouvelle ère, le  » pont télépathique« . Suite à des apparitions d’ovnis, l’humanité -ou du moins une partie- se voyait dotée de pouvoirs télépathiques. Nous faisions la connaissance de Dora, jeune femme perturbée, contrainte par ses parents de suivre une thérapie auprès du psychologue Raniero, la cinquantaine bien tapée, en plein divorce. L’étrange jeune fille allait fasciner notre bon docteur un peu perdu avec la jeunesse de l’époque. Mais surtout, Dora allait devenir célèbre en posant les bases de la pensée télépathique moderne. Celestia n’est pas à proprement parler la suite de L’Entrevue. Après une invasion (les ovnis de L’Entrevue? Une allégorie de la crise migratoire? On ne saura jamais), un groupe de gens se sont réfugiés sur une île coupée du continent appelée Celestia. Cette île ressemble furieusement à Venise, mais où la majeure partie de la Sérénissime aurait été engloutie par les eaux. Pierrot, jeune télépathe très puissant, est convoqué par son père qui tente de le convaincre de rejoindre un petit groupe qu’il tente de former. Mais le jeune homme préfère partir à la recherche de Dora, dont personne n’a de nouvelles depuis deux semaines. Contrairement à Pierrot, Dora ne maîtrise pas bien son pouvoir. Mais c’est grâce à des perturbations dans l’esprit de la jeune femme que Pierrot finira par la retrouver. Une bande pas très sympathique ayant décidé de leur chercher des noises, les deux amis vont être contraints de fuir l’île vers le continent inconnu.

La possibilité d'une île

Explosion de couleurs

Si cette première partie confirme la maîtrise des couleurs directes de l’auteur, le périple des deux amis sur le continent devient pour le lecteur une véritable expérience picturale sensorielle. Manuele Fior avait fait le choix du noir et blanc pour L’Entrevue et, déjà, la multitude des techniques utilisées -encre, crayon gris, effets spéciaux à la tablette graphique- rendait les planches particulièrement riches dans les rendus de matière. Ici, nous sommes tour à tour dans du Magritte, du Rothko, du William Blake et même du Delvaux. L’auteur choisit le côté obscur de sa palette de gouaches pour les scènes pluvieuses et nocturnes se déroulant dans Celestia. Il réserve les explosions de couleurs à l’exploration du continent se déroulant principalement sous un soleil de plomb. Outre les rues et places de Venise, l’ancien étudiant en architecture fait évoluer ses protagonistes dans de sublimes bâtiments labyrinthiques inspirés de Frank Lloyd Wright et Louis Kahn. On l’aura compris, Celestia est un chef-d’oeuvre dans lequel le lecteur se laisse porter par une histoire, somme toute obscure et pleine de non-dits, mais qui le transporte dans l’univers si particulier de ce décidément grand auteur.

Celestia

de Manuele Fior, éditions Atrabile, 272 pages.

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