À 26 ans, Steven Ellison, petit-neveu d’Alice Coltrane, part du hip hop pour envoyer valser toutes les étiquettes. Jazz, funk, soul… Tous dans le même panier cosmique. A giant step…

« Ce jeu vidéo, c’est de la bombe! Vous savez ce qui est drôle? J’y ai joué, à Heavy Rain. Mais en français, avec les sous-titres anglais. Parce que le son est meilleur. Et puis les personnages ont l’air français aussi. Cela sonne mieux. «  On vient de tendre à Steven Ellison la cover du Focus consacrée à la sortie du fameux jeu vidéo, et il n’en revient toujours pas. Le geek jubile. Le musicien n’est cependant pas loin. L’un n’empêchant pas l’autre, l’un nourrissant même l’autre. L’homme contre ou avec la machine? On est en 2010 et la réponse se trouve peut-être bien dans la musique de Flying Lotus.

C’est sous ce nom que l’Américain vient de sortir Cosmogramma. Un 3e album qui est moins un disque qu’une vision. Une sorte de grand bouillon électronique instrumental dans lequel tremperaient la plupart des musiques noires modernes: jazz, hip hop, house, disco, funk, soul… « J’avais envie de quelque chose basé sur les musiques que j’aime vraiment: celle d’Alice Coltrane, Soft Machine, Dionne Warwick, Donna Summer…  » Le trip est difficile à décrire: on y entend à la fois du grain hip hop et des rythmes latinos concassés, la voix de Thom Yorke (Radiohead) ou le bruit de balles de ping pong qui rebondissent sur une table, le tout entre une basse free jazz ou des envolées de cordes dramatiques à la Daxid Axelrod. Cela pourrait paraître abscons. C’est sans compter l’effet lotus (le vrai): les feuilles de la plante sont en effet dotées d’aspérités qui permettent à la goutte d’eau de dévaler sans s’étendre et se disloquer. Traduisez: Cosmogramma est aussi bien une jungle qu’une lune, à la fois organique et minéral.

Le nez dans les étoiles

Cela fait un bout de temps que le nom de Flying Lotus circule. Suivant les pas de J Dilla, emblématique producteur hip hop décédé en 2006, il pond un hip hop instrumental sombre, urbain. Rêveur aussi, voire psychédélique. Pas un hasard d’ailleurs si la célèbre DJ de la BBC, Mary Anne Hobbs, spécialiste des musiques électroniques, n’a pas hésité à baptiser Flying Lotus de « Jimi Hendrix de l’ordinateur ». « J’essaie seulement d’aller aux endroits qui me touchent… Parfois, il s’agit juste de faire quelque chose, lancer une idée en l’air et voir ce qui peut arriver. Il se fait que je suis un gros fumeur de weed et forcément ce genre de chose vous emmène plus facilement vers des terrains psychédéliques. Pour le reste, je ne sais pas trop. Pourquoi fait-on ce qu’on fait? (rires) … « 

Une question de gènes certainement. Steven Ellison est le petit-neveu de feue Alice Coltrane. Epouse de John Coltrane, géant du jazz, Alice McLeod a tracé sa propre discographie. Passionnée de spiritualités orientales, la harpiste a toujours injecté dans son jazz une bonne dose de mysticisme. Pas étonnant donc de voir Flying Lotus également le nez tourné vers le ciel.

Cela dit, Ellison est aussi le petit-fils de Marilyn McLeod, auteur pour le label culte Motown (elle a notamment co-écrit le Love Hangover de Diana Ross). Une fameuse lignée donc où se côtoient l’expérimental et le populaire. Un schéma que reproduit en fait Cosmogramma, disque complexe mais pas compliqué. Un album bourré de paradoxes surtout, parce que la vie ne fonctionne pas autrement. En montrant à son groove la direction de l’espace, Flying Lotus rappelle ainsi que le hip hop a beau être né dans la rue, ses premières inspirations étaient aussi cosmiques -voir Afrika Bambaataa et son Planet Rock.

Les questions spirituelles, Ellison les a expérimentées de manière parfois brutale. L’an dernier, il a ainsi perdu sa mère. A son chevet, il a notamment traversé l’épreuve en enregistrant les sons des appareils médicaux qui ont maintenu un temps sa mère en vie. Les machines à la rescousse, à nouveau… N’empêche: il a fallu digérer le choc et panser les plaies avant de se remettre à composer de la musique. « Pendant longtemps, j’ai été dans l’obscurité. Finalement, j’ai fini par retrouver l’espoir, une espèce de joie très pure. Le but était aussi de réaliser le disque le plus musical que j’ai pu faire jusqu’ici. J’en avais un peu marre d’entendre les gens parler de trucs techniques, de compétences technologiques… Je voulais vraiment toucher le c£ur de la musique.  »

Le précédent Los Angeles restait encore calé sur des rails hip hop. Ici, Ellison s’est mis en tête d’élargir le spectre. Pour se jeter à l’eau, il convoque une série de musiciens (comme son cousin, Ravi Coltrane) et les embarque dans son trip. Le bidouilleur électronique vs les pointures jazz. « Je suis le premier à admettre que je ne sais pas ce qu’ils font. Mais ils ne comprennent pas toujours ce que je fais non plus! Il y a un respect mutuel pour les aptitudes de chacun. Stephen Bruner, par exemple, joue de la basse comme personne. Je n’en revenais pas quand je le regardais faire! »

Du respect mais pas de déférence excessive donc, permettant de fondre tous les éléments ensemble. C’est ce qui frappe encore dans Cosmogramma, disque à plusieurs visages mais d’un seul tenant. Cela doit être aussi ça l’effet Lotus… l

u Flying Lotus, Cosmogramma, Warp. zzzzz

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