Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

Family Business – Avec ce projet resté 10 ans en couveuse, Lorrie Moore était attendue au tournant. Qu’elle négocie sur les chapeaux de roues…

DE LORRIE MOORE, ÉDITIONS DE L’OLIVIER, 361 PAGES.

Aux USA, Lorrie Moore est présentée tantôt comme la s£ur littéraire d’Alison Lurie ou de Laurie Colwyn, tantôt comme la cousine d’inspiration des brat-packers Jay McInerney et Bret Easton Ellis. A emprunter sa passerelle, on veut bien croire qu’elle est effectivement travaillée par un furieux talent de famille. Tassie Keltijn n’a pas 20 ans quand elle débarque de sa campagne profonde pour entrer à l’université de Troie,  » l’Athènes du Midwest« , et pour se mouler dans un quotidien qui ressemble vite  » à une espèce de boule de neige de la vie étudiante, sale et surréaliste« . Elle s’y construit un monde, entre solitude et fantaisie, guettant du sens dans des biscuits porte-bonheur, dévorant tout Sylvia Plath, ou cochant au hasard des cours aux intitulés impro-bables. Sa vie toute neuve change déjà quand elle est engagée comme baby-sitter chez Sarah Brink, une attachante -et très probablement hystérique- voisine en quête simultanée d’une nounou à engager et d’un enfant à adopter. » Peut-être qu’elle me rappelait le personnage d’un feuilleton télévisé que je regardais des années plus tôt. Mais pas l’héroïne. Sûrement pas l’héroïne. Plutôt sa colocataire maniaque, ou sa cousine dingue habitant Cleveland. » L’étudiante de campus novel se fait donc gouvernante: un rôle de choix qui a, de Charlotte Brontë à Henry James, de tout temps permis aux romanciers de faire pénétrer les secrets de façades par une narratrice gagnée à leur cause. Commence alors une drôle d’intimité forcée dans une famille d’accueil à l’ambiance surréaliste -et légèrement inquiétante.  » Chaque personne de cette maisonnée, moi y compris, semblait issue d’un horrible conte de fées. Mais de contes différents.  »

Une affaire de style

Dans sa deuxième partie, le récit s’éloigne pourtant de l’intemporalité heureuse du conte pour plonger à pic dans l’Amérique contemporaine: le frère de Tassie est envoyé en Afghanistan, tandis que le libéralisme, la paranoia post-11 septembre et le racisme font des ravages dans le quotidien de la jeune fille. Tout au long de ce qui est incontestablement son dur récit d’apprentissage, Tassie ira de pressentiments en désillusions et de sensations de liens en séparations consommées. On se demande toujours comment, chez Lorrie Moore, on en arrive à se délecter de situations grinçantes, crispées ou carrément dramatiques. C’est qu’elle parvient constamment à les transcender par ce que son £il halluciné peut y voir, comme lorsque Tassie observe les changements d’état des aliments de son frigo, scène évitée ou glauque ailleurs, habitée et fantastique chez Moore:  » Le pain lui aussi était poudré d’une moisissure bleutée qui aurait fait une ravissante ombre à paupières pour choriste -mais une choriste ayant besoin de pénicilline.  » En quelques mots, tout est dit de l’incroyable sens de la matière dont elle sait user dans ses descriptions. Son « cousin » McInerney nous avait pourtant bien prévenu:  » Le style de Miss Moor en’appartient qu’à elle« . l

Ysaline Parisis

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