APRÈS UNE POIGNÉE DE FILMS ANGLO-SAXONS, TOM TYKWER, LE RÉALISATEUR DE LOLA RENNT, A RETROUVÉ L’ALLEMAGNE POUR DREI, L’HISTOIRE D’UN COUPLE DE QUADRAS ENGAGÉ DANS UN TRIANGLE OUVRANT SUR LE MONDE…

De prime abord, il y a là une manière de retour aux sources. Dix ans après Die Krieger und die Kaiserin, et après 3 longs métrages où il a peaufiné, avec un certain bonheur d’ailleurs, son profil international, Drei consacre le retour de Tom Tykwer en Allemagne, Berlin servant de cadre à une chronique qui voit Hanna et Simon, en couple depuis 20 ans, tomber secrètement amoureux l’un et l’autre du même homme, Adam. Un film intime, et l’occasion d’interroger le réalisateur de Lola Rennt et The International sur le tour singulier de son parcours.

Pourquoi avoir voulu travailler à nouveau en Allemagne?

Pour moi, il ne s’agit pas d’un retour. J’ai toujours vécu en Allemagne, et j’y ai produit des films. Pour The International, une bonne partie du travail s’est faite à Berlin, qu’il s’agisse du tournage, de la pré ou de la postproduction. Nous y sommes restés la majeure partie du temps, sauf pour les extérieurs tournés à Istanbul et à New York.

Vous sentez-vous plus libre sur un film comme Drei que pour The International?

Il n’y a pas vraiment de différence à mes yeux. La situation d’un réalisateur ne dépend que de lui: il ne tient qu’à vous de faire comprendre que vous renoncerez si on vous demande de faire des compromis inacceptables. Si, à quelque niveau que ce soit, on m’impose des compromis qui vont altérer le résultat artistique, je m’en vais. Mais, pour être honnête, je n’ai jamais dû recourir à de telles extrémités ni même en menacer qui que ce soit: c’est une question d’attitude, et de respect. Cela posé, j’aime la discussion, et le fait que les gens questionnent mes décisions. Je ne partage pas cette conception de l’artiste vivant dans sa bulle, et qu’il faille protéger parce qu’il a toujours raison. Je travaille avec les mêmes personnes depuis 20 ans, et elles sont totalement sans merci à mon égard.

Le budget n’est pas source de pression?

L’argent n’est pas la question à mes yeux: si je fais un film comme Drei, où il ne s’agit jamais que de gens discutant dans une pièce, il est évident qu’il ne me faut pas un budget de 50 millions de dollars. Je trouve obscène de dépenser des fortunes pour des films de ce genre. Un film coûte ce qu’il coûte, et l’essentiel du budget est consacré à ceux qui y travaillent, ce qui me convient. Pour Perfume, par exemple, nous avons dépensé entre 50 et 60 millions de dollars, mais quelque 1250 personnes ont travaillé sur le film pendant un an. Quand on y pense en ces termes, c’est un budget raisonnable, surtout qu’il faut encore reconstituer l’époque. On ne peut s’en tenir à 4 millions, comme pour ce film-ci, qui se déroule au XXIe siècle, au coin de la rue, avec des gens d’aujourd’hui qui ne sont pas des superstars. Mais je ne ressens pas de pression, quel que soit le budget: les gens qui sont prêts à engager cet argent savent que je vais le respecter, et essayer de le dépenser de façon efficace.

Considérez-vous faire partie désormais de l’establishment?

Je n’en ai vraiment pas la moindre idée. C’est clair que je ne suis plus dans la même position qu’il y a 20 ans, lorsque j’ai commencé à faire des films. C’est un peu plus facile aujourd’hui, sans être simple pour autant: chaque film est un champ de bataille, et le financement, en particulier, est toujours difficile, en Allemagne également. Il y a des opportunités, mais pour un film comme celui-ci, c’est difficile. Mais je n’aime pas l’idée que l’on puisse m’apposer un certain cachet – voilà la raison pour laquelle tous mes films sont différents.

Drei est-il votre film le plus personnel?

C’est manifestement personnel, parce que les sentiments de ces gens me sont familiers. C’est plus évident que lorsqu’on tourne The International ou Perfume, des films de genre ou des romans adaptés. Mais je trouve toujours mon chemin personnel dans les films à travers les personnages. Ma rage et ma colère face aux dérives du capitalisme m’ont fait apprécier le personnage de The International. Sa colère a nourri le ton et le style du film.

Les personnages de Drei évoluent dans un environnement artistique. Dans quelle mesure avez-vous conçu le film comme une installation?

J’ai essayé de faire un film qui, plutôt que de s’appuyer sur une narration linéaire, soit composé de nombreux fragments qui ne font sens que réunis. C’était libérateur et cela a induit une forme de légèreté d’ensemble que nous voulions maintenir dans le film, en dépit de situations dramatiques et intenses. Nous voulions que Drei soit vraiment ludique, et se décline sur un mode plus spéculatif.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

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