KENY ARKANA, LA RAPPEUSE ALTERMONDIALISTE BIENTÔT SUR LA SCÈNE DE COULEUR CAFÉ, PRÉPARE SON RETOUR EN DOUCEUR. GROS PLAN SUR CES FILLES DU HIP HOP QUI ONT LES CROCS.

Elle n’a pas changé d’un iota. Les cheveux « enfoulardés », Keny Arkana est toujours ce corps de piaf au sourire canaille et à la dégaine de garçon manqué. L’accent occitan achève de ponctuer un drôle de magnétisme, unique dans le hip hop français. Si tant est que Keny Arkana fasse bien partie de cette scène-là…

En 2 albums, la Marseillaise d’origine argentine (1982) a fédéré un public attiré au moins autant par le rap que par ses idées politiques et son discours tranché. Une posture de gauche radicale, celle des squats et de la mouvance altermondialiste (elle est pote avec Manu Chao). Un discours opiniâtre et têtu, avec tout ce qu’il peut avoir de généreux et d’idéaliste. D’excessif aussi. Comme quand la rappeuse explique sur un titre qu’il ne faut pas banaliser les mots avant de parler de « politique d’holocauste » sur le morceau suivant. « D’accord, mais on n’est pas loin de la réalité, non? Je ne parle pas uniquement de la situation française, mais de la manière dont vit une bonne partie de la planète. C’est pas parce qu’on fait partie du petit pourcentage de privilégiés qu’on ne peut pas ouvrir les yeux. «  Au passage, personne n’est épargné. Obama par exemple? « Je devrais croire en lui? Pourquoi? Parce qu’il est un peu basané? » Ou alors parce qu’il s’est présenté avec des idées différentes? « Ah oui? Qu’il fasse alors quelque chose pour la Palestine. Qu’il se bouge pour l’Irak, l’Afghanistan… Au lieu de voir toujours ses frontières, son business, et ses entreprises… Le truc, c’est qu’il n’y a même plus de politique aujourd’hui. Seul compte le business. Pour être claire, je ne fais pas la guerre à des humains. Je fais la guerre à des principes. Qu’on porte tous un peu en nous-mêmes. C’est pour cela que j’ai aussi toujours parlé de ce travail intérieur que chacun doit faire. »

Arme de combat

Bizarrement, avant l’interview, la maison de disques de Keny Arkana a suggéré aux journalistes de ne pas glisser sur les sujets politiques. « Non, c’est juste que ce qui sort aujourd’hui n’est pas véritablement le nouvel album, justifie-t-elle. L’Esquisse 2 tient plus de la mixtape, un truc très spontané mais forcément moins abouti qu’un véritable album. J’en avais besoin pour faire baisser la pression (son précédent opus date de 2006!, ndlr). Mais je sais que quand le véritable nouvel album sortira, je devrai monter au créneau et défendre certains titres qui risquent de poser problème.  »

Le milieu hip hop s’est de plus en plus ouvert aux filles. Malgré sa réputation de musique misogyne, le rap en a toujours compté: de Salt’N’Pepa à Queen Latifah en passant par MC Lyte (voir aussi la compilation Fly Girls!, sortie en 2009, qui célébrait les 30 ans du premier enregistrement d’une rappeuse). Ces dernières années cependant, elles ont pris une importance particulière. En partie parce que le genre s’est peu ou prou dilué dans la pop, un poil moins sexiste. Fin des années 90, Missy Elliott par exemple a fait le trait d’union, entre crédibilité hip hop et tubes r’n’b. Quand l’événement bruxellois Hip Hop décide d’organiser une édition « spécial ladies », au KVS, au début de l’année, l’affiche féminine mélange les genres. Même constat dans les charts: aujourd’hui, quelqu’un comme Nicki Minaj peut jouer à la fois la freak vicieuse ( Did It On ‘Em) et la chanteuse miaulante ( Right Thru Me).

Le cas Casey

Les filles sont partout. Y compris, et c’est plus surprenant, dans le créneau revendicatif, pourtant largement déserté aujourd’hui. En France, le phénomène Diam’s a cartonné dans les hit-parades. La rappeuse n’a pourtant jamais tout à fait laissé tomber le côté plus politisé, présent depuis le début du rap français (Assassin, NTM, Iam…). De son côté, Bams, Française d’origine camerounaise, mélange les styles, laissant parfois le rap loin derrière, mais n’oubliant jamais de tenir un discours.

Casey est assurément plus frontale. Pote de La Rumeur, membre du projet Zone Libre (avec Serge Teyssot-Gay, ex-Noir Désir), elle a le flot hargneux et les mots qui frappent là où ça fait mal. Vie dans les « quartiers », racisme, violences policières, néocolonialisme… Elle cite Frantz Fanon et dénonce ses collègues qui parlent dans le vide. A des années-lumière des minaudages r’n’b, elle prend aussi soin de maintenir l’ambiguïté sur son identité sexuelle, avec ses dreads masculines et ses baggy passe-partout. Il s’agit moins de faire rappeur que de se fondre dans la masse, histoire de ne pas détourner l’attention des revendications.

Il n’y a pas davantage de pose féministe chez Keny Arkana. Facile donc d’être une fille dans le hip hop? « On ne m’a jamais emmerdé là-dessus. Je crois que j’ai un tel sale caractère que je les fais tous flipper (rires). J’ai commencé vachement jeune aussi. A 12 ans, j’étais pas seulement l’unique fille, mais aussi la seule de mon âge! Je traînais avec les plus grands. Quand j’ai pris le micro, j’étais la petite s£ur qu’on encourage. Du coup, on ne m’a jamais vraiment mis de bâtons dans les roues… «  Ce qui n’empêche: « C’est vrai qu’en général ce qui n’est pas blanc et masculin est considéré comme inférieur. Non? »

u KENY ARKANA, L’ESQUISSE 2, CHEZ WARNER. EN CONCERT, À COULEUR CAFÉ, LE 26/06.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS, ILLUSTRATION EYES-B & DEFO84

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