HUITIÈME ALBUM POUR LES GARS DES MONTAGNES NEW-YORKAISES,DÉSORMAIS INCARNÉS PAR LES SEULS JONATHAN DONAHUE ET GRASSHOPPER. ET TOUJOURS L’AMÉRIQUE EN BERCEUSE.

« L’été dernier, nous étions à Paris pour une semaine chez notre ami Ken Stringfellow (musicien américain, ndlr) et les idées de chansons embryonnaires se sont mises à grandir. Une question de timing, comme une fleur qui va surgir, que tu l’arroses ou pas. Quand on est jeune, on a tendance à forcer la chanson à prendre une direction, quitte à user du marteau et du burin. En vieillissant, on est davantage à l’écoute de la nature même du titre. » L’inspiration derrière ce huitième album, loin d’une floraison de printemps, évoque « les sentiments universels de perte, de chaos, de solitude, de mort, les émotions que moi et Grasshopper avons connues ces dernières années. Tu te rends compte que les gens eux aussi doivent survivre dans le noir. » Malgré sa gravité, Light in You a toujours cette corolle de conte mirifique, ancré dans des sonorités mélodiques ramenant à l’enfance. D’ailleurs, Grasshopper, 48 ans, père tardif, fait allusion à sa progéniture « dont l’ADN est le même que le tien sans pour autant que sa personnalité ne soit semblable. Ce choc de la naissance d’un enfant m’est arrivé alors que j’étais au Guatemala: pendant un moment, cela m’a semblé être une chose assez effrayante, qui secoue totalement ton monde. L’album est noyauté de berceuses, jouant de la simplicité et de la répétition: comme si on mettait dormir le gamin. » Mercury Rev, même à ses débuts sauvages en compagnie du premier chanteur -le cintré David Baker- a toujours trimballé une propension onirique, plus Lewis Carroll que Cendrillon cela dit. « Ce n’est pas une volonté consciente, mais le conte de fées nous vient tout naturellement, explique Jonathan. Aucun de nous deux n’a grandi avec le rock’n’roll, mais bien avec des disques pour enfants de la fin des sixties. Donc cette façon de faire de la musique moderne est ancrée dans ces racines-là. Pourquoi? Je n’en sais rien, peut-être Carl Jung pourrait te le dire. »

Donahue pousse dans les Catskills, plateau montagneux au nord-ouest de New York, fils d’un catho irlandais et d’une juive de Transylvanie: « Leurs familles ne sont pas venues à leur mariage pour des raisons d’intolérance religieuse respective. Des gens des montagnes qui ne changent pas facilement d’avis. Mais Dieu n’avait pas de place à la maison. J’ai grandi comme une page blanche entre les deux Livres. Même si je connais pas mal de chansons juives de Broadway et de sketches à la Mel Brooks. D’ailleurs, Mercury Rev est aussi un groupe de jouissance. » Enfant, Grasshopper vit au bord des Grands Lacs proches de la frontière canadienne dans une famille catholique, « avec des parents progressistes sur le plan social, et conservateurs sur tous les autres terrains. » Dans son bled industriel, il joue de la clarinette via la fanfare locale, plus Burt Bacharach que Grand Jojo. Les deux outcasts se rencontrent alors qu’ils ont 18 ans, dans une classe de maths de l’Université de Buffalo: selon la légende, dans un camp de redressement pour ados troublés. Deux double zéro universitaires qui trouvent un terrain fertile, « la musique semblait un dialogue naturel, comme dans un raga indien. » En studio encore aujourd’hui, Donahue, sans langage musical, transmet ses désirs à Grasshopper via des métaphores telles que « chutes d’eau », « nuages » ou « cordes en cascade ». Pour The Light in You, le duo s’est passé de Dave Fridmann, leur producteur (et occasionnellement bassiste) depuis les tout débuts. « Initialement, on est allés au studio de Dave qui habite à six-sept heures de voiture de chez nous -à Cassadaga, à l’extrême est de l’Etat de New York- mais, avec la venue de mon enfant, il s’est avéré difficile de coordonner nos emplois du temps. Donc, Jonathan et moi avons commencé à bosser ensemble. » Jonathan: « C’est comme deux types dans un bar en attente de la venue du troisième, ils vont commencer à boire et oublier celui qui ne viendra jamais. On a donc fini par faire le disque sans Dave… »

Métaphysique textuelle

Sur les sept années écoulées depuis l’album précédent -Snowflake Midnight-, Jonathan a sa propre vision temporelle: « On vit dans les montagnes derrière Woodstock, en dehors de tout centre urbain, c’est peut-être pour cela qu’on n’a pas eu cette impression de passer sept années sans rien faire (le groupe a entre autres rejoué son classique album Deserter’s Songs de 1998 lors d’une tournée internationale en 2011, ndlr) ». Grasshopper a longtemps habité Manhattan, Alphabet City, y croisant les tribus rock à la Jon Spencer Blues Explosion, puis a fui la chaudière new-yorkaise pour les Catskills, retrouvant la « méditation, l’atmosphère, les éléments qui semblent s’assembler dans un film imaginaire. Notre musique est ce puzzle qui échappe au langage de la ville, celui du Velvet ou des Strokes. La campagne et les montagnes retiennent les bougies de brûler trop vite. » L’album nouveau est comme un cycle saisonnier, passant d’une phase parisienne à l’été dernier, aux enregistrements d’automne, se terminant par les mixages de printemps. Tout cela contextualisé par une carrière commerciale longtemps inexistante en Amérique, l’Europe servant une fois de plus de réceptacle à un talent marginalisé dans son propre pays « comme Sonic Youth ou même Nirvana à ses débuts. » En partie parce que Mercury Rev s’affranchit des genres dans un mix insolent de pop, bubblegum, orchestral, cinématique et même un peu métaphysique textuel. « On considère l’album plutôt comme un livre ou un film, quelque chose de visuel, conclutJonathan. Et puis l’écoute doit être de préférence faite en version vinyle: une opération proche de la méditation, sans zapping incessant.  »

RENCONTRE ET PHOTO Philippe Cornet

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