La part du ghetto

Sur son cinquième album, Vince Staples met ses côtés plus expérimentaux en sourdine et se livre comme jamais, à la fois grinçant et touchant.

Vince Staples

Des bruits de vague, des cris de mouettes. Dès les premières secondes de son nouvel album, Vince Staples invite chez lui, du côté de Long Beach, Californie. Sous le soleil éclatant, un orgue d’église semble toutefois annoncer le drame à venir. « Cold sweats and the shivers, I be having premonitions », glisse le rappeur. Quelques secondes plus tard, une série de coups de feu éclatent. Dans la vie de Staples, la violence et les armes ne sont jamais loin…

Depuis le début de sa carrière, le rappeur utilise sa plume pour dépeindre le quartier dans lequel il a grandi, et la culture de gangs qui le gangrène. Toujours avec une certaine distance. Sur ses premiers disques, elle était d’abord musicale: s’éloignant de la grammaire G-funk, Vince Staples n’a cessé d’expérimenter -par exemple en allant chercher des sonorités plus électroniques sur Big Fish Theory, invitant notamment Kendrick Lamar à rapper sur un beat de SOPHIE. L’an dernier, son quatrième album éponyme prenait toutefois une autre tournure. Il s’agissait moins de se décaler musicalement que d’aborder toujours plus frontalement son parcours personnel, marqué par la violence urbaine. Conçu dans la foulée, Ramona Park Broke My Heart prolonge cette quête, dans ce qui est sans doute son disque le plus accessible et direct. Dans un message Instagram introduisant son album, le rappeur expliquait: « Depuis plus d’une décennie, la majeure partie de mon travail tourne autour de ce que je pensais être mon chez moi. Aujourd’hui, j’ai réalisé que cette notion va au-delà d’un endroit en particulier. » Et de continuer plus loin: « Grandir, c’est aussi arrêter d’aimer aveuglément. Ramona Park Broke My Heart est l’histoire de cet apprentissage. »

La part du ghetto

Il ne s’agit pas de rejeter la rue -elle ne vous quitte de toutes façons jamais vraiment, fait comprendre Staples-, mais de prendre davantage de distance. Dans la vidéo de Magic, Staples arrive dans une fête tout sourire. La party tourne cependant vite à l’embrouille, le rappeur se prenant une dérouillée au bord de la piscine. Comment sortir des schémas quand, même sorti du quartier, les anciens réflexes remontent aussi vite? Plus loin, Rose Street est une love song tronquée: « Les seules fleurs que j’amène, sont celles pour orner les tombes des potes »… L’ironie est poussée un cran plus loin sur When Sparks Fly. « Don’t you break my heart », supplie Staples. « Love how you illuminate my thoughts », ajoute-t-il encore, pour décrire la relation qu’il entretient avec son… arme.

Grinçante, la plume de Staples se demande surtout: comment évoquer le ghetto sans alimenter une sorte de « glamour » de la dèche? Quand, au tout début du disque, des coups de fleu éclatent sur la plage, ils sont suivis d’applaudissements. Dans une Amérique où tout fait spectacle, où l’industrie musicale a aussi appris à transformer la culture des gangs en dollars, le rappeur tente plus que jamais de mettre à nu des mécanismes cachés. Ceux qui, jusqu’ici, semblent condamnés à se répéter.

« Ramona Park Broke My Heart »

Distribué par Blacksmith Recording.

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