AVEC DIPLOMATIE, VOLKER SCHLÖNDORFF SIGNE UN FILM BRILLANT, HUIS CLOS À DEUX VOIX CONFRONTANT LOGIQUES MILITAIRE ET DIPLOMATIQUE AUTOUR DE LA DESTRUCTION DE PARIS PROGRAMMÉE PAR HITLER.

Voilà un long moment que l’on était sans nouvelles de Volker Schlöndorff, Palme d’or en 1979 pour Le Tambour, mais dont les films n’arrivent désormais plus que fort sporadiquement sur nos écrans. A bientôt 75 ans, le regard du cinéaste allemand n’a pourtant perdu ni en acuité ni en pertinence. Démonstration avec Diplomatie, son remarquable nouvel opus, huis clos adapté de la pièce éponyme de Cyril Gély. Et un film découlant de faits réels pour imaginer le dialogue ou plutôt le duel s’instaurant, dans la nuit du 24 au 25 août 1944, entre le consul suédois Raoul Nordling et le général allemand Dietrich von Choltitz, à qui Hitler a ordonné la destruction de Paris. « Quand les producteurs Frank Le Wita et Marc de Bayser m’ont envoyé la pièce, je leur ai dit que c’était un sujet formidable, mais de là à en faire un film? J’avais des doutes très forts… », commente le réalisateur, eu égard à l’essence théâtrale du projet. « Je leur ai dit que j’étais leur homme, tout en me montrant sceptique. Et je le suis resté pendant le tournage et même quand le premier montage a été fini: j’y ai vu la preuve que ça ne marchait pas au cinéma. Comme quoi on peut se tromper. Peut-être qu’en raison même de mon scepticisme, j’étais spécialement sévère… »

Paris brûle-t-il?

A l’autopsie, en effet, Diplomatie évite avec brio l’écueil du théâtre filmé, trouvant dans son dispositif conjugué à l’intensité de la joute opposant ses deux comédiens – Niels Arestrup et André Dussolier reprenant magistralement les rôles qu’ils avaient tenus à la scène – un élan purement cinématographique. « J’ai bien vu qu’il n’y avait que par les acteurs que l’on pouvait faire passer cela, et faire oublier que c’était une pièce. On m’avait dit que je pouvais ajouter des choses, et j’ai tourné des scènes d’action, d’encadrement, mais elles ont été éliminées au montage: le film, c’est la pièce à 80 %, et 20 % de choses que j’ai rajoutées. C’est simplement le combat entre ces deux-là, et un combat, évidemment, cela peut toujours être passionnant. »

A fortiori lorsque les enjeux en sont cruciaux. Schlondörff ouvre son film par des images d’archives de la destruction de Varsovie, survenue trois semaines plus tôt, histoire de rappeler que la menace, terrifiante, était bien réelle -les ponts de Paris avaient d’ailleurs été minés. Et d’évoquer encore le télégramme envoyé par Hitler à von Choltitz le 23 août, réitérant son injonction de détruire une ville dont l’existence lui apparaissait comme le symbole même de son échec. « Je ne connaissais pas vraiment cette histoire, même si je savais qu’il y avait un général allemand qui n’avait pas brûlé Paris. Ce qui m’a frappé, c’est l’idée: « Et si Paris avait été détruit, comme Varsovie et d’autres villes? » Adenauer et de Gaulle ne se seraient pas serré la main, il n’y aurait pas eu de réconciliation franco-allemande telle qu’on la connaît, et probablement même pas de construction européenne. Et puis, moi, je ne serais jamais allé à Paris pour apprendre le français, donc je ne serais pas cinéaste, et on ne serait pas en train de faire une interview (rires). Enormément de choses se sont jouées dans cette nuit, c’était ma motivation. »

Avec la complicité de ses deux comédiens –« on a vraiment travaillé à l’unisson, uniquement l’essentiel »- , Schlöndorff met en scène un duel passionnant de bout en bout, confrontant logiques militaire et diplomatique dans un virevoltant ballet des mots. « Autrefois, les diplomates jouaient un rôle très important, d’abord pour empêcher les guerres (…). Cet art, ou ce pouvoir de la diplomatie, est beaucoup négligé aujourd’hui. Richard Holbrooke, à qui j’ai dédié le film et que je connaissais bien, a terminé la guerre en Yougoslavie en négociant de son propre chef avec Milosevic pendant des jours et des jours, avec des feintes, des mensonges, des trucs… » Dimension à laquelle le cinéaste francophile en superpose une autre: « Que la culture, la beauté d’une ville et de son architecture, vaillent la peine de lutter, cela m’est venu avec l’âge. J’étais plus iconoclaste avant, me disant: une cathédrale en moins, tant pis, peut-être que les hommes sont plus importants. Mais les oeuvres d’art sont aussi des êtres vivants. Il y a une telle énergie psychique et créatrice conservée en leur sein, si on ne l’avait pas, on ne serait pas les mêmes hommes. Le sujet est universel… Mais le préchi-précha, j’ai fait ça autrefois, quand j’avais encore des convictions politiques. Maintenant, j’ai des convictions humaines, pas politiques… (rires). »

ENTRETIEN Jean-François Pluijgers, À Berlin

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