NICK CAVE RETROUVE SON COMPÈRE JOHN HILLCOAT À LA FAVEUR DE LAWLESS, L’UN DES FILMS DE LA RENTRÉE. ET UN DRAME SANGLANT DE LA PROHIBITION INSCRIT AU CONFLUENT DU WESTERN ET DU FILM DE GANGSTERS, DONT IL A ÉCRIT LE SCÉNARIO EN PLUS D’EN SIGNER LA MUSIQUE.

Entre Nick Cave et le cinéma, c’est déjà une affaire ancienne. Voilà plus de 20 ans que ses compositions hantent les films les plus divers -chansons, ou soundtrack en bonne et due forme-, à quoi il ajoute, à l’occasion, une apparition devant la caméra -voir Johnny Suede, de Tom DiCillo, ou The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford, de Andrew Dominik. Avec John Hillcoat, c’est toutefois une autre histoire, quelque chose comme the Australian Connection. Ces deux-là se connaissent depuis une éternité, en effet. Et si le réalisateur a signé quelques vidéos pour le chanteur, ce dernier a écrit les musiques de l’ensemble de ses films depuis Ghosts of the Civil Dead, en 1988, avant de devenir son scénariste occasionnel, de The Proposition, en 2005 , à Lawless, sept ans plus tard -un film qui les aura tout deux conduits à Cannes en mai dernier, où l’on pressait un Nick Cave classieux de s’étendre sur son travail…

Fratrie rebelle

« Je n’avais pas l’ambition de devenir scénariste. John essayait de monter un western australien -un projet qu’il avait depuis l’école, et qui allait devenir The Proposition- , sans parvenir à boucler le scénario. En tant qu’ami, il me consultait, et à force de m’entendre dire que les scripts qu’il me soumettait n’étaient pas bons, il m’a demandé d’essayer d’en écrire un, et je m’y suis mis. » L’expérience se révélant concluante, ce qui ne devait être qu’une ébauche deviendra finalement le scénario définitif du film. Lawless (Des hommes sans loi) est un cas de figure différent, puisque l’histoire est inspirée d’un roman de Matt Bondurant, The Wettest County in the World ( Pour quelques gouttes d’alcool, dans son édition française) titre modifié, parce que intraduisible en l’état, précise Cave.

Au c£ur du film, on retrouve les frères Bondurant, distillateurs clandestins opérant en Virginie à l’aube des années 30, et bientôt objets d’une traque systématique des autorités. Une fratrie rebelle, voilà qui n’est pas sans évoquer… The Proposition, encore que Nick Cave préfère n’y voir qu’une coïncidence: « Les producteurs nous ont envoyé le roman de Matt Bondurant. J’étais extrêmement réticent à l’idée d’écrire un scénario au départ d’un livre, considérant que si je devais y consacrer autant de temps, je préférais développer une histoire de mon cru et signer un scénario original. Le livre embrassait cependant le genre de sujets qui nous intéressent, John et moi. Et son ton, la qualité mélancolique de la langue comme le degré de tristesse de l’histoire et sa violence brute, la juxtaposition de sentimentalité et de violence, ont bientôt constitué un attrait irrésistible à mes yeux. Il s’est trouvé que cela parlait également de trois frères… »

Inscrit dans un horizon sanglant, le film n’en adopte pas moins des contours paradoxaux en effet, la sauvagerie y côtoyant une douceur précaire, dans un mouvement teinté de lyrisme tourmenté. Autant dire que les aficionados du leader des Bad Seeds retrouveront là des atmosphères familières. « Notre capacité à la violence m’intéresse, poursuit Nick Cave. Nous vivons dans des sociétés civilisées, où nous menons des existences idoines, mais il y a, en chacun de nous, un potentiel de violence indicible et la capacité à faire le mal, en fonction des circonstances. Le cinéma est une façon de représenter une situation extrême, et regarder l’éruption de cette violence me paraît intéressant. J’aime les moments de tendresse et de calme dans Lawless, mais il y a quelque chose de passionnant à explorer ce qui bouillonne en chacun des protagonistes. » Nick Cave n’a pas écrit les Murder Ballads pour rien, après tout, et Lawless ne déparerait pas du lot, en dépit d’un emballage sensiblement différent. De fait, au-delà du déchaînement final, c’est bien une onde d’amertume qui reste en suspension, parmi d’autres sentiments ambivalents. Autant dire que si l’humeur varie, la noirceur reste, postulat que l’on pourrait appliquer à une discographie où aux arrondis de Nocturama répond la rugosité de Grinderman. « Voilà 54 ans que je roule ma bosse, et on passe par des périodes différentes, observe-t-il. Mes albums les plus calmes ont souvent découlé des périodes les plus turbulentes de ma vie. Et maintenant que je suis heureux en mariage, avec des enfants, j’écris sur des choses particulièrement sanglantes. C’est là que me porte mon imagination… »

La chasse aux papillons

Auteur de chansons d’une puissance narrative et visuelle rare, Nick Cave était sans doute taillé pour l’écriture de scénarios – « cela m’est venu facilement », opine-t-il. A tel point d’ailleurs qu’il confesse aujourd’hui trouver cette dernière plus simple: « Ecrire des chansons est beaucoup plus abstrait et obscur, c’est quelque chose de totalement différent. Pour écrire un scénario, vous vous installez avec votre histoire, et rédigez vos cinq pages par jour. Tandis que trouver une chanson, c’est comme tenter d’attraper un minuscule papillon avec un filet percé de grands trous. On n’a jamais vraiment le sentiment de pouvoir y arriver. Et c’est là que réside à mes yeux la beauté de la musique et d’une chanson: on peut tellement facilement la briser, ou la foirer. Ecrire une chanson est vraiment difficile, alors qu’un scénario tient plus du métier: il s’agit de raconter une histoire de façon aussi divertissante et intéressante que possible. Ce n’est guère différent du fait, par exemple, de s’asseoir, et d’inventer une histoire pour ses enfants. » Voire… l

LAWLESS, DE JOHN HILLCOAT, AVEC SHIA LABEOUF, MIA WASIKOWSKA, TOM HARDY. SORTIE LE 19/09.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS À CANNES

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