AUTOUR DE L’ÉVEIL D’UN ADOLESCENT INTROVERTI, ALIX DELAPORTE SIGNE UN FILM DÉLICAT, ENTRELAÇANT SENSATIONS ET SENTIMENTS AU SON DE LA 6E SYMPHONIE DE MAHLER

On avait découvert Alix Delaporte à la faveur d’Angèle et Tony, premier long métrage sensible orchestrant un devenir amoureux encore hésitant sous le ciel de Normandie. Il est aussi question de découvertes et d’apprentissages multiples dans Le Dernier coup de marteau (lire la critique page 19), nouvel opus non moins délicat de la cinéaste française. La trame intimiste s’en noue cette fois du côté de Montpellier, autour de Victor, un gamin de treize ans vivant avec sa mère, Nadia, atteinte d’un cancer. Précaire, leur quotidien chancelle lorsque l’ado pousse les portes de l’opéra, à la recherche d’un père qu’il ne connaissait pas, venu diriger la 6e symphonie de Mahler -la « tragique » à laquelle le titre du film renvoie d’ailleurs.

Un terrain vierge

Si l’on évoque à bon droit un portrait à hauteur d’adolescence, Alix Delaporte préfère embrasser une perspective plus large, et parler d’un « film de famille. Chaque personnage évolue vraiment dans l’histoire. C’est imbriqué, et ils ont tous un destin personnel », souligne-t-elle, au lendemain de la première vénitienne de son film -lequel repartira de la Mostra avec le prix du meilleur espoir pour son impeccable jeune interprète, Romain Paul. Pour autant, celui-ci est né du désir spécifique de la réalisatrice de « filmer un jeune garçon en train de devenir un homme. Les choses se passent toujours comme cela: il y a une envie de plus en plus forte, et là, j’ai voulu filmer le physique de l’adolescence, le corps de l’adolescent qui change, la voix qui mue. Et comment ce gamin, plutôt introverti, s’ouvre. On peut y voir un cliché, mais c’est comme le papillon sortant de la chrysalide… »

Voire, toutefois: les clichés, Le Dernier coup de marteau les escamote avec un appréciable aplomb. A rebours de ceux-là, l’éveil de Victor s’opère en finesse sinon en douceur, via sa première émotion artistique, celle, musicale, qui l’unit à son père, à défaut des mots que l’un et l’autre sont incapables d’exprimer. Des silences qui peuplent son cinéma, Alix Delaporte dit qu’ils constituent « un terrain vierge. Je n’aime pas théoriser, mais faire du cinéma, pour moi, c’est essayer de remplacer les mots par des situations, des actions. » Un postulat assorti d’un autre, le recours fréquent aux ellipses, invitant le spectateur à tracer son chemin: « Je veux laisser des espaces à sa perception. Je pars du principe que le spectateur est hyper sensible, et je n’arrête pas d’essayer de faire en sorte que tout le monde ressente… » Et de disséquer son patient travail d’élagage: « Quand on a des acteurs comme Grégory Gadebois et Clotilde Hesme (le couple d’Angèle et Tony, et les parents séparés du Dernier coup de marteau, ndlr), le minimum consiste à leur donner des dialogues qui ne sont pas informatifs, lesquels n’ont rien d’agréable et sonnent toujours faux. Dès qu’il y a une information, on sent que le réalisateur a ses infos à faire passer via les dialogues, et ça ne peut pas être juste. Quand on n’arrive pas à faire une prise, la raison en est souvent là. Il y a donc un constant travail d’élagage. J’écris le scénario pendant deux ans et demi, trois ans, je travaille des heures et des heures sur la séquence, le dialogue. Et puis, le tournage est une autre écriture, je n’ai plus de scénario, je le connais par coeur. Et enfin, le montage en est encore une autre, où on pousse les choses un peu plus loin, et cela va toujours dans le sens de réduire. Mes films ne sont jamais très longs, mais celui-ci faisait 1 h 50 au début du montage pour finir à 1 h 20. »

Envie d’ailleurs

Il n’en faut pas plus au Dernier coup de marteau pour imprimer sa musique singulière, celle des êtres que vient discrètement amplifier un décor tout sauf anodin. La province, avec ses horizons maritimes, inspire à l’évidence la réalisatrice qui, après la Normandie, a donc opté pour l’Hérault. « Peut-être cela vient-il d’une volonté d’être moi-même en découverte et en déstabilisation, commente-t-elle. Je remets toujours les choix en question, je fragilise beaucoup les choses sur le tournage. Je n’aime pas les certitudes. Voilà pourquoi je travaille avec des gens qui cherchent, qui doutent, qui ont peur et n’hésitent pas à le dire. Et moi, quand je suis ailleurs, dans un endroit que je ne connais pas, je cherche des repères, et cela me pousse à inventer d’autres choses. J’aspire à être toujours ailleurs que dans le pays où je me trouve. » Plus par curiosité –« cette envie de plonger dans des univers me vient peut-être du documentaire », explique encore celle qui a fait ses armes à la télévision, signant notamment Comme dans un rêve, sur Zinédine Zidane- que parce l’herbe y serait, censément, plus verte. Du reste, celle du Dernier coup de marteau prend l’apparence d’arbres poussant à même le sable: « J’avais vu cet endroit un jour, et cela m’est revenu en écrivant. J’ai eu envie d’installer Victor et sa mère là-bas, parce que c’est très particulier, une plage avec des arbres. Ils vivent dans un cabanon, dans un environnement précaire mais aussi très beau. Je ne voulais pas d’un terrain vague. Tourner là-bas a été difficile: obtenir les autorisations s’est révélé compliqué, et on n’y accédait qu’après 50 minutes de pistes abominables, mais j’y tenais absolument. Il y avait ce contraste, et puis, on cherche quand même une forme de beauté dans ce qu’on fait, même si elle est rude, violente. » Quelque chose comme trouver la note juste…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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