La Mostra sort son Joker

Babyteeth

Retour en dix instantanés sur une 76e édition ayant largement tenu ses promesses, et conforté Venise dans son statut de rampe de lancement idéale pour les productions américaines de prestige.

Un divan à Tunis

de Manele Labidi

Les comédies restent une denrée rare en festival. Premier long métrage de Manele Labidi, Un divan à Tunis embrasse la réalité de la Tunisie de l’après-révolution d’un regard léger mais non moins (im)pertinent, sur les traces d’une psychanalyste (Golshifteh Farahani) de retour de Paris et bien décidée à installer son cabinet dans un quartier populaire de Tunis en dépit d’obstacles innombrables…

Wasp Network

d’Olivier Assayas

À l’instar de Lou Ye avec l’élégant Saturday Fiction, le réalisateur de Sils Maria s’essaie au film d’espionnage dans Wasp Network. Soit l’histoire des Cuban Five, un réseau d’agents cubains ayant tenté d’infiltrer les groupes anticastristes de Miami dans les années 90. Et une oeuvre qui, pour apparaître un brin bancale par endroits, n’en vibre pas moins d’un enivrant parfum romantique.

Babyteeth

de Shannon Murphy

Au départ d’un sujet éminemment casse-pattes -le portrait d’une adolescente frappée par une maladie à l’issue annoncée, mais retrouvant quelques couleurs au contact d’un dealer à la petite semaine-, une petite perle ultra-sensible préférant l’énergie vitale à l’excès de pathos. Soit la double révélation du festival: la réalisatrice australienne Shannon Murphy, digne disciple de Jane Campion, et l’actrice Eliza Scanlen, sensationnelle, et bientôt à l’affiche des Little Women de Greta Gerwig.

Martin Eden

de Pietro Marcello

Des trois films italiens présentés en compétition, Martin Eden, de Pietro Marcello, est sans conteste celui à avoir le plus convaincu. Le réalisateur originaire de Caserta y propose une relecture fascinante de l’oeuvre de Jack London, sous la forme d’une rêverie traversant le XXe siècle comme pour mieux résonner aujourd’hui. Et révèle en Luca Marinelli, prix d’interprétation mérité, un comédien au charisme électrique.

La Vérité

de Hirokazu Kore-eda

Les précédents de réalisateurs asiatiques s’étant risqués à un film français (Hou Hsiao-hsien, Tsai Ming-liang, Kiyoshi Kurosawa, Hong Sang-soo…) avaient généralement déçu. Hirokazu Kore-eda conjure le sort avec La Vérité, une oeuvre inscrite dans la réalité hexagonale et même parisienne mais portant la griffe du maître nippon, fidèle à ses thèmes de prédilection: une famille dysfonctionnelle, et la relation parents-enfants…

Joker

de Todd Phillips

Birdman, Gravity, Three Billboards, The Shape of Water, First Man, A Star Is Born: Venise s’est imposée, depuis quelques années, comme la rampe de lancement idéale pour les productions américaines visant les Oscars. Confirmation cette année avec le Lion d’or octroyé à Joker, de Todd Phillips, une oeuvre revenant aux origines de l’ennemi intime de Batman, à rebours du tout-venant des films de super-héros saturant les écrans. Avec Joaquin Phoenix dans le rôle principal, le contraire eut été surprenant…

Un divan à Tunis
Un divan à Tunis

Seules les bêtes

de Dominik Moll

Dominik Moll s’est imposé depuis Harry, un ami qui vous veut du bien, le film qui le révélait en 2000, comme le tenant d’un cinéma d’une stimulante étrangeté. Confirmation avec Seules les bêtes, polar à cinq voix se déployant entre les neiges du causse Méjean et Abidjan, un modèle de film de genre aussi tortueux qu’habilement conduit…

Marriage Story

de Noah Baumbach

Indésirable à Cannes, Netflix garde la cote à Venise. Un an après le Lion d’or de Roma, deux nouvelles productions de la plateforme de streaming avaient les honneurs de la compétition: le décevant The Laundromat de Steven Soderbergh et Marriage Story de Noah Baumbach, chronique d’une séparation à laquelle Scarlett Johansson et Adam Driver confèrent densité et émotion.

Just 6.5

de Saeed Roustayi

6.5, c’est, en millions, le nombre de toxicomanes recensés en Iran, une statistique connaissant une croissance exponentielle. Et le contexte dans lequel Saeed Roustayi situe son premier long métrage, un mano a mano haletant entre un flic opiniâtre et un baron de la drogue, au coeur d’un polar tendu portant un regard acéré sur la réalité iranienne.

45 Seconds of Laughter

de Tim Robbins

À l’instar des frères Taviani dans Cesare deve morire, Tim Robbins investit, avec 45 Seconds of Laughter, le milieu carcéral, pour un documentaire passionnant retraçant les ateliers conduits par sa troupe de théâtre, The Actors’ Gang, dans une prison de haute sécurité californienne. Un projet dont l’idée avait germé lorsque l’acteur-réalisateur tournait… The Shawshank Redemption, en 1994.

J'accuse
J’accuse

De quelques tendances du festival

1. Une Mostra polémique

C’était attendu: Venise n’a pas failli à la règle voulant qu’un festival de cinéma digne de ce nom ne se conçoive pas sans polémique(s). La première aura tenu à la représentation des femmes, au nombre de deux à peine, la Saoudienne Haifaa Al-Mansour et l’Australienne Shannon Murphy, à présenter des films en compétition. Les esprits taquins observeront que c’était là deux fois plus que l’année précédente, mais soit… La seconde aura découlé de la sélection de Roman Polanski, la présidente du jury, Lucrecia Martel, exprimant sa gêne, eu égard aux poursuites dont le réalisateur continue d’être l’objet aux États-Unis, avant de se rétracter. L’affaire se dégonflera toutefois, J’accuse repartant du Lido fort d’un Grand Prix quelque peu inattendu…

2. Une Mostra politique

La dimension politique du film n’y est sans doute pas étrangère, cette dernière s’étant invitée à tous les échelons du festival, et jusqu’au palmarès -chez Polanski, donc, dénonçant l’antisémitisme dans J’accuse; chez Robert Guédiguian, inventoriant les maux du monde, de la mondialisation et du libéralisme outrancier dans Gloria Mundi; chez Maresco, croquant la collusion entre État et mafia dans La mafia n’est plus ce qu’elle était. Si Manele Labidi (psych)analyse la société tunisienne de l’après-révolution dans Un divan à Tunis, tandis que Haifaa Al-Mansour retrace le combat d’une jeune Saoudienne pour l’émancipation dans The Perfect Candidate ou que Steven Soderbergh passe les dérives de la finance à la moulinette de la satire dans The Laundromat, d’autres se tournent vers le passé pour mieux parler du présent. Ciro Guerra livre ainsi une métaphore sur le fascisme et le cancer de la peur de l’autre dans Waiting for the Barbarians; Olivier Assayas questionne l’idéal politique dans Wasp Network; Václav Marhoul va au bout de la déshumanisation dans The Painted Bird; Pietro Marcello parle lutte des classes dans Martin Eden; Lou Ye trouve dans Saturday Fiction et le Shanghai de 1941 écho au chaos contemporain. Quant à James Gray ( Ad Astra), il se projette dans le futur pour parler d’une humanité menacée -perspective d’une urgence manifeste.

Saturday Fiction
Saturday Fiction

3. Une Mostra familiale

Dysfonctionnelle chez Kore-eda ( La Vérité), séparée par la force des choses chez Assayas, faisant front tant bien que mal chez Guédiguian, fragilisée chez Shannon Murphy ( Babyteeth), matriarcale chez Nunzia De Stefano ( Nevia)… la famille, fût-elle vacillante, reste un puissant moteur de fiction. Atom Egoyan ( Guest of Honour), Haifaa Al-Mansour et Kore-eda, encore, explorent par ailleurs une relation père-fille, lien parent-enfant envisagé par James Gray ( Ad Astra) dans son versant père-fils. Quant à Noah Baumbach ( Marriage Story) et Pablo Larraín ( Ema), c’est au couple qu’ils s’intéressent, qu’il se sépare chez l’un ou se déchire, aux prises avec une adoption difficile, chez l’autre. À quoi Roy Andersson oppose, dans le burlesque et désespéré About Endlessness, cette indifférence semblant devoir inexorablement s’emparer des êtres. Ou la condition humaine dans son absurdité…

Wasp Network
Wasp Network
Joker
Joker
Martin Eden
Martin Eden
La Vérité
La Vérité
Seules les bêtes
Seules les bêtes
45 Seconds  of Laughter
45 Seconds of Laughter
Just 6.5
Just 6.5
Marriage Story
Marriage Story

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