La Mort aux trousses

© MURDO MACLEOD

Raconter une vie par le seul prisme de ses expériences avec la mort? C’est le pari de l’Irlandaise Maggie O’Farrell, dans un livre étonnant en 17 chapitres.

 » Frôler la mort n’a rien d’unique, rien de particulier. Ce genre d’expérience n’est pas rare; tout le monde, je pense, l’a déjà vécu à un moment ou un autre, peut-être sans même le savoir. » Comme la plupart d’entre nous, la romancière irlandaise Maggie O’Farrell a déjà failli mourir. Simple rappel, à l’échelle individuelle, de la finitude de nos existences humaines. Plus étonnante en revanche est l’accumulation presque extraordinaire de ces expériences limites en l’espace d’une seule vie: à 47 ans, Maggie O’Farrell prétend avoir déjà échappé à la morgue à rien moins que… 17 reprises.  » Prendreconscience de ces moments vous abîme« , avance-t-elle face à cette énigmatique récurrence.

Levons immédiatement tout malentendu: I am, I am, I am n’est pas de ces récits-témoignages de miraculés dont les visions et les sensations de mort imminente font la matière « sensationnelle » (pas ici de grande lumière blanche à traverser, de fil des souvenirs qui défilerait en avancée rapide, voire de couplets sur la brièveté dramatique de nos vies terrestres). Jusque-là habituée aux amples sagas ( Cette main qui a pris la mienne, Assez de bleu dans le ciel), O’Farrell choisit ici une autre approche: placé sous l’égide de Sylvia Plath (le titre du livre, tiré d’un de ses poèmes), découpé en 17 chapitres comme autant de nouvelles, le livre est sec et fragmentaire, original aussi dans la sélection de ses détails et ses recoupements. Le plus étonnant est peut-être le mélange d’intimité et de distance -d’ironie, même- qui s’en dégage.  » Avoir frôlé la mort à l’âge de huit ans a imprimé en moi une image positive -peut-être à tort- de la mort.  »

La Mort aux trousses

Précis d’anatomie

La première histoire est sans doute l’une des plus marquantes. O’Farrell y raconte comment, jobiste à 18 ans dans un centre de retraite en altitude, elle tombe lors d’une balade solitaire dans la montagne dans un guet-apens tendu par un client très inquiétant. L’homme finira par la laisser repartir, contrairement à la jeune touriste néo-zélandaise que l’on retrouvera quelques heures plus tard violée et étranglée dans le même village.  » Sa vie, je le sais, a été coupée, amputée, stoppée alors que la mienne, pour une raison que j’ignore, a eu le droit de continuer.  » Organisé sur le modèle d’un précis d’anatomie qui donne à chaque chapitre le nom d’une partie de son corps menacé -cou, poumons, tête, crâne…-, le livre de Maggie O’Farrell raconte sa maladie infantile, ses presque noyades, ses accidents, entre phobies partagées (ce crash d’avion miraculeusement évité), expériences dramatiquement « banales » de la vie d’une femme (un accouchement qui tourne au tragique, suite à une série de violences gynécologiques) et prises de risques provoquées (ce jour où elle accepte d’être la cible d’un lanceur de couteaux à l’aveugle). L’impression qui s’en dégage est celle d’un dialogue continu et dédramatisé -presque d’une danse- entre une femme et le scénario sans cesse réinventé de son agonie. Une écrivaine qui voit son existence entière comme un gigantesque sursis et autant d’expériences encore à tenter. Au final, le texte est une étude personnelle et sans tabous sur ce que mourir veut dire -la peur et l’amour, la violence et la maladie, le hasard et les circonstances. Tout ce que la plupart d’entre nous préfèrent enfouir; tout ce dont les écrivains, précisément parce qu’ils sont écrivains, s’emparent.

I am, I am, I am

De Maggie O’Farrell, éditions Belfond, traduit de l’anglais (Irlande) par Sarah Tardy, 256 pages.

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