Avec Liberté, Tony Gatlif creuse la douloureuse mémoire tsigane de l’Occupation, sans rien perdre de son style énergique, poétique, fervent.

Son nouveau film a pour beau nom Liberté( Korkoro dans la langue des Roms). Cette évocation des persécutions subies par un groupe de Tsiganes durant l’Occupation nazie de la France est sans doute un des meilleurs films de Tony Gatlif, chantre passionné, et souvent inspiré, de la culture et de la mémoire gitane.  » C’était le film le plus important, celui qu’il fallait faire dès le départ, explique le réalisateur, mais il m’a fallu le temps de chercher, le temps de comprendre, le temps de mûrir pour pouvoir raconter le mieux possible cette histoire d’Europe, de colère et d’humiliation.  » L’infiniment douloureuse histoire des déportations et massacres de la Seconde Guerre mondiale n’a pas seule motivé le cinéaste, que des situations très actuelles révoltent aussi.  » Quand vous allez en Roumanie (je n’ai rien contre les Roumains) et que vous voyez les « tsigani », ces quartiers où l’on a sédentarisé de force les Roms, et que vous voyez ces cabanons de chiens, de rats, sans même l’eau courante, ces enfants pieds nus, ces vieillards et ces bébés laissés sans soins, c’est la honte qui vous frappe, la honte d’une Europe indifférente ou pire… Quand je vais à Saint-Denis, à Montpellier, à Lyon, ces villages misérables qui se forment et où survivent des Roms venus de Roumanie, d’Albanie, de partout à l’est, et que je vois les gens, les maires, les prendre pour des brigands alors qu’ils fuient le malheur qu’on leur inflige là-bas, je me sens humilié… L’image de cette petite fille morte l’an dernier sur une plage italienne, avec les vacanciers qui continuent à se baigner près de son cadavre, comme si de rien n’était, devrait tous nous hanter!  »

Cinéma authentique

Le cinéma, aux yeux de Gatlif, peut et doit témoigner, raconter. Pour bousculer cette indifférence coupable.  » Le peuple tsigane manque de mélo, de coups de théâtre, pour qu’on s’intéresse à lui, commente-t-il avec amertume. Même les déportations des années 40, personne ne s’y est intéressé, après. Il y a aujourd’hui 10 millions de Roms qui vivent mal, qui sont haïs, rejetés, et presque personne n’y est sensible. Moi, ça fait 30 ans que je fais des films, que j’essaie de sensibiliser, de faire savoir que ce ne sont pas des gens qui sont nés, comme l’écrivait Cervantès, pour voler et pour tuer… Il est nécessaire de rappeler aujourd’hui ce qui s’est passé pendant la guerre. Surtout en plein débat sur l’identité nationale…  » Si un sentiment de révolte habitait Tony Gatlif au moment de porter à l’écran l’histoire des persécutions, des internements, dans la France occupée, il n’en a pas pour autant modifié son approche d’artiste passionné, utilisant le cinéma pour tout son potentiel visuel, sonore, émotionnel. Avec cette poésie organique qui infiltre le récit, l’enrichit de moments forts, prenants, n’ayant aucune fonction narrative mais transportant le spectateur dans la vision personnelle, lyrique, du cinéaste.

 » Je filme en liberté, clame Gatlif, même si la famille dont parle le film a vraiment existé. Il me faut une base solide, pour savoir que ce que je raconte a cet indispensable caractère d’authenticité sans laquelle je ne pourrais pas filmer. Ensuite, je ne suis pas l’esclave du récit, je ne fais pas du cinéma didactique, je travaille la matière cinématographique avec des partis pris très forts. Au lieu de faire une reconstitution d’époque en plans larges, comme on le fait toujours, j’ai tourné en gros plans, en confiant l’aspect reconstitution aux objets, tous justes, choisis et traités (les vêtements ont étés délavés pour avoir l’aspect voulu) pour qu’on y croie. Les personnages, les êtres, je les ai filmés plein cadre, au corps à corps, et au présent. Ce présent absolu que seul le cinéma permet, pour autant qu’on aille le chercher pour l’amener en pleine lumière! » Dans cette perspective, le choix de James Thierrée pour tenir un des rôles principaux du film, fut un élément essentiel.  » Il a 30 ans mais il a la pureté d’un enfant, la liberté des enfants, conclut Gatlif, c’est l’âme tsigane incarnée, en mouvement, indomptable! » l

Texte Louis Danvers

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