AVEC SON 1er ALBUM, L’ANGLAIS JAMES BLAKE A D’ORES ET DÉJÀ SORTI UN DES DISQUES DE L’ANNÉE. UNE MUSIQUE ÉLECTRONIQUE DÉPOUILLÉE, COMME EN LÉVITATION. LESS IS MORE…

C’est l’une des anomalies du moment. Un morceau qui passe en boucle en radio, cartonne dans les hit-parades, alors qu’il n’a foncièrement rien à y faire. Limit To Your Love, reprise par James Blake d’un titre de la Canadienne Feist, est encore plus dénudé que l’original. Evoluant au ralenti, tenu par des bribes de piano et l’écho d’une basse dub, il donne l’impression de pouvoir s’effondrer à tout moment. Ce qu’il fait d’ailleurs: avant même d’arriver à la minute, le morceau s’arrête, et laisse filer un blanc de pas moins de 5 secondes avant de reprendre ses esprits!

La hype ne date pas d’hier. James Blake, jeune Londonien de 22 ans, a beau n’avoir sorti son 1er album éponyme que le mois dernier, cela fait un moment maintenant que le buzz tourne à plein régime. Un premier EP en juillet 2009, suivi de 2 autres (sortis sur le label gantois R&S) ont suffi à mettre la puce à l’oreille. Sa version de Limit To Your Love fera le reste, la BBC le désignant parmi les noms à suivre pour 2011. Aujourd’hui, l’album de James Blake est toujours bien classé à l’Ultratop (il en a occupé la 1ère place) et les tickets pour son concert au Botanique en avril prochain se sont envolés en quelques minutes. Un petit exploit pour un disque de musique électronique qui fonctionne au moins autant par ses silences que par sa manière d’occuper l’espace sonore. « Je n’y pense pas trop », esquive-t-il, coincé dans une loge du Laatste Show, le talk show le plus suivi de la télé flamande.  » J’utilise juste des sons qui ont leur propre vie, puis disparaissent pour laisser la place à d’autres. En fait, je ne réfléchis pas tellement en terme de silence, mais à ce qui va suivre. C’est de l’anticipation (sourire). Puis, ce n’est pas non plus comme si j’étais le premier à le faire. Dans la pop, il y a souvent des breaks. C’est bizarre que dans mon cas, cela frappe tellement les esprits. Apparemment, « the silence is the new loud «  (sourire) ». On insiste: dans Limit To Your Love, par exemple, le break aurait dû être zappé pour correspondre aux standards radios. « Sauf qu’on ne peut pas le supprimer: il est au milieu du morceau! (rires). Si on l’enlève, ce n’est plus la même chanson. Cela dit, j’ai quand même dû l’éditer pour la radio: j’ai raccourci l’outro… « 

Voix et conviction

Musicien électronique, Blake s’est fait d’abord connaître comme producteur. Sur son premier album, il se fait cependant aussi chanteur, quelque part entre Antony Hegarty et Justin Vernon (Bon Iver), voire Jeff Buckley. Avec cette particularité: la plupart du temps, la voix est retravaillée, sculptée, modifiée. Comme s’il était plus facile de se dévoiler… masqué. « Un projet comme Quasimoto (un des alias du producteur hip hop Madlib, ndlr) sonne vrai, authentique, émouvant. Et pourtant il manipule sa voix tout le long (il donne l’impression d’avoir aspiré de l’hélium). Cela n’empêche pas les gens de s’y connecter. Le morceau Hide And Seek de Imogen Heap, c’est la même chose. Stevie Wonder également quand il utilise la talk box. Ou certains trucs de Radiohead, Laurie Anderson, etc.Quelqu’un comme Burial est passé maître dans l’art du « pitch shifting » (technique qui joue notamment sur la vitesse de la voix, ndlr). En fait, dans 10 ans, toutes ces techniques auront été utilisées et réutilisées à toutes les sauces. Je peux imaginer à quel point l’élément vocal sera devenu désincarné et étrange. Mais cela n’empêchera pas de toucher encore le public, parce que les mélodies seront bonnes, ou les paroles… « 

Issu de la scène dubstep, James Blake paraît aujourd’hui bien loin de la dance music électronique. En fait, à suivre la démarche du jeune Anglais, on pense volontiers à celle d’Arthur Russell qui, au début des années 80, traînait aussi bien dans les clubs disco (c’est lui qui se cache notamment derrière le All Over My Face, morceau culte sorti sous le nom de Loose Joints) que dans l’avant-garde new-yorkaise. A cette évocation, Blake sourit, comme pris la main dans le sac. « Il est incroyable. Je l’ai découvert très tard. Comme tout le monde j’imagine, au moment où Rough Trade a ressorti ses travaux. Avant, il était difficile de trouver sa musique. C’est une honte, une tragédie, qu’il n’ait pu connaître cette reconnaissance de son vivant (Russell est mort du sida en 92, âgé de 40 ans, ndlr). Pas mal de gens voyaient ses disques comme des démos. Parce qu’ils ne sonnent pas « finis » -ils ne l’étaient d’ailleurs parfois pas. Mais cela ne l’empêchait pas de les revendiquer comme tels. Je peux partager ce sentiment. En soi, un morceau n’est jamais achevé, mais il faut à un moment le lâcher, le soumettre à l’extérieur. Peu importe comment il sonne. Mon disque, par exemple, a été réalisé grosso modo en 2 jours, dans ma chambre. Au moment d’y revenir, je n’y ai rien changé. « 

Nous sommes bien en 2011, où il est possible de faire des disques en se contentant d’un ordinateur, d’un micro et des enceintes de son salon. Soit les bénéfices de la technologie sans le fétichisme nerd. « Concrètement, on s’en fout que le kick drums sonne parfaitement, ou que la caisse claire est trop forte de 0,5 dB… Si le feeling est là, que vous arrivez à le transmettre, le morceau est terminé. Pas besoin d’y revenir sans cesse. C’est pour cela que je n’ai laissé personne l’entendre. La 1re fois, la maison de disques pensait d’ailleurs que je leur faisais écouter les maquettes (rires).  »

u JAMES BLAKE, UNIVERSAL. EN CONCERT LE 12/04, AU BOTANIQUE, BRUXELLES (COMPLET).

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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