JEAN-PIERRE JEUNET A DONNÉ CORPS OUTRE-ATLANTIQUE AU PÉRIPLE, GÉOGRAPHIQUE ET INTÉRIEUR, DE SON HÉROS PRODIGE, CREVETTE DE 10 ANS À PEINE TRAVERSANT LE CONTINENT AMÉRICAIN EN QUÊTE DE RÉCONFORT

Il y a indéniablement une patte Jeunet. Une griffe visuelle et un sens de la narration qui n’appartiennent qu’à lui, et ont accouché très tôt de leurs sommets créatifs (Delicatessen et La Cité des enfants perdus, en tandem avec Marc Caro) puis populaires (Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, en solo), avant de s’enliser dans l’ornière de la niaiserie violoneuse (Un long dimanche de fiançailles) ou de la gadgétisation outrée et grimaçante (Micmacs à tire-larigot). Seize ans après Alien Resurrection, le réalisateur français a à nouveau traversé l’Atlantique pour The Young and Prodigious T.S. Spivet. Et s’il serait abusif de parler de résurrection, justement, on peut à tout le moins évoquer un net regain d’inspiration s’agissant de cette adaptation quasiment burtonienne -un chapelet d’épisodes insolites qui rappellent ponctuellement Big Fish– du roman de Reif Larsen.

« Mon style découle avant tout de certaines spécificités techniques, comme le recours à des focales courtes, des couleurs particulières, mais ça tient aussi au sens de l’humour, au rapport à l’enfance que j’entretiens, analyse le réalisateur, venu défendre son nouveau long métrage au 40e Film Fest de Gand. J’aime les metteurs en scène qui ont des styles forts, comme Fellini, Lynch ou Kusturica. Mais ça peut être un inconvénient aussi, parce qu’on a plus vite fait de s’entendre dire qu’on se répète, qu’on tourne en rond. Avec T.S. Spivet, je cherchais à me renouveler. Le fait de tourner aux Etats-Unis, en anglais, en étant moins cartoon, plus dans l’émotion, avec d’autres acteurs, de nouveaux paysages, la 3D, c’était pour moi une manière de fuir la redite, la caricature.  »

Ludique et convaincante, la 3D est en effet l’un des pôles d’attraction majeur de ce Young and Prodigious T.S. Spivet, Jeunet y recourant pour faire danser devant les yeux du spectateur les inventions, dessins, annotations, qui émaillent le roman de Reif Larsen. Façon View-Master. « La 3D, ce n’est supportable que si le film est pensé pour, et surtout tourné en 3D. Les conversions 2D-3D, c’est de la pure arnaque hollywoodienne. Entre ça et les mauvaises projections, ils sont en train de niquer la 3D, elle va disparaître dans pas longtemps. C’est dommage parce que quelques films ont ouvert une brèche vers une utilisation intelligente de la 3D. Je pense au Hugo de Scorsese ou au Pina de Wenders. Ou encore, même si ça me fait mal de le dire, à Life of Pi, où la 3D n’est pas trop mal…  »

Le Triangle des Bermudes

Si ça lui fait mal de le dire, c’est que Jeunet n’a sans doute toujours pas digéré d’avoir bossé deux ans sur l’adaptation du livre de Yann Martel avant que la Fox ne lui refuse le budget nécessaire pour la tourner, Life of Pi passant alors dans les mains de Ang Lee, avec le succès que l’on sait. Mésaventure qui semble aussi avoir exacerbé chez lui un certain dégoût des méthodes américaines. Ainsi quand il évoque les problèmes d’agenda rencontrés durant le tournage de T.S. Spivet avec son jeune acteur-star, Kyle Catlett: « Son agent nous a menti. Il faut savoir que c’est quand même la pire race d’enfoirés de la planète, les agents américains. On nous a dit que Kyle n’avait rien d’autre de prévu, alors qu’il avait déjà signé pour une série, The Following. Quand on s’en est aperçu, il était déjà trop tard. Les tournages se sont chevauchés et là on nous a vraiment traités comme des petits fromages qui puent, sans aucun respect. On a été obligés de travailler les week-ends, quand Kyle avait des trous dans son planning.  »

En France non plus, ceci dit, Jeunet ne s’est pas fait que des amis, le réalisateur fort en gueule, gouailleur populo peu enclin à l’humilité, comptant son lot de virulents détracteurs dans les rangs de la presse hexagonale. « Une certaine presse hexagonale, oui, qui est minoritaire, insiste-t-il, revanchard. La presse intellectuelle, en somme, que Michel Ciment appelle le Triangle des Bermudes: Le Monde, Libé, Les Cahiers du Cinéma. Et puis aussi Les Inrockuptibles. Moi je pense que c’est un devoir, et même un honneur, d’être méprisé par cette presse. Parce que si Mozart avait l’oreille absolue, eux ont le goût de chiottes absolu. Heureusement, Les Inrocks haïssent T.S. Spivet. Parce qu’un jour j’ai rêvé que j’avais une bonne critique dans Les Inrocks. Je me suis réveillé en sueur. C’était l’horreur… »

RENCONTRE Nicolas Clément

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