La Grande Transformation du sommeil

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Où en sommes-nous avec le sommeil? Depuis si longtemps que nous en avons perdu le souvenir, on nous répète la même histoire de règles à suivre et de standards à respecter pour pouvoir bien dormir. Pourtant, rien n’est moins évident que ce récit. Dans une série de publications qui ont fait beaucoup de bruit aux États-Unis dans les milieux savants aussi bien qu’auprès du grand public, l’historien Roger Ekirch, surtout connu pour ses travaux sur le commerce transatlantique de l’esclavage, a prouvé que ce que nous considérons comme un sommeil normal n’est qu’une création récente. Comme le rappellent les textes réunis dans La Grande Transformation du sommeil, il est possible de dater cette normalisation du sommeil de l’époque de la révolution industrielle -et donc de l’instauration des rythmes nouveaux de production auxquels devaient se plier les ouvriers des usines. Auparavant, dormir n’était pas une activité continue, ni même systématique. Chacun bricolait ses nuits à sa guise, sachant que celles-ci tombaient avec le soleil, et ne pouvaient compter que sur l’éclairage d’un âtre ou d’une bougie pour pouvoir être dissipées -et encore, plutôt mal que bien. Le plus souvent, la nuit était même interrompue en son milieu, pour céder la place à une plage d’activité pouvant tout autant être productive (aller vérifier si le bétail n’avait besoin de rien dans l’étable) que gratuite (réfléchir, écrire une lettre), voire érotique (faire l’amour, peut-être la dernière interruption du sommeil qui vaille encore dans le monde moderne). L’arrivée de l’éclairage public, rendant possible la colonisation de la nuit, ouvrit la voie à la mise en ordre de ces comportements -et, surtout, à la maximisation de l’activité humaine, qui gaspillait jusque-là plusieurs heures de travail possible au milieu des ténèbres. À l’heure où la question du sommeil et de l’insomnie récupère sa dimension politique, les démonstrations brillantes de Ekirch sont à méditer -de préférence, entre deux siestes.

De Roger Ekirch, éditions Amsterdam, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jérôme Vidal, 196 pages.

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