L’ÉPIQUE ET TRÈS PRENANT THE WAY BACK CONFIRME LE TALENT DU CINÉASTE AUSTRALIEN POUR SCRUTER L’HUMAIN AUX PRISES AVEC DES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES.

Des jeunes élèves mystérieusement disparues de Picnic At Hanging Rock aux évadés du goulag de The Way Back en passant par le héros malgré lui d’un programme de téléréalité dans The Truman Show, Peter Weir a toujours aimé confronter des êtres relativement « moyens » à des circonstances extrêmes, testant ainsi leur humanité. Quand il évoque son nouveau film ( voir critique page 31), et l’état du cinéma en général, c’est avec un enthousiasme utilement teinté de lucidité.

Sept ans se sont écoulés depuis Master And Commander. Cela fait beaucoup de temps entre 2 films…

Je n’ai jamais été un homme pressé, mais ce délai n’avait rien de voulu! J’ai beaucoup travaillé sur 3 autres projets, dont aucun n’a malheureusement pu se concrétiser.

Très peu de films évoquent le goulag. Comment expliquez-vous ce manque, alors que les camps nazis sont le théâtre de nombreuses productions?

J’ai en effet été très étonné, en commençant mes recherches, de ne presque trouver aucun film traitant du sujet. Il y a bien Un jour dans la vie d’Ivan Denisovich, basé sur le livre de Soljenitsyne, dont j’avais lu le livre quand j’étais un tout jeune homme. J’ai revu le film (1), mais hormis la photographie de Sven Nykvist, il n’y a pas grand-chose à y puiser. J’ai dû me tourner vers les livres, et des interviews de survivants… Pourquoi cette absence? D’abord, je pense que pour beaucoup d’artistes et d’intellectuels, il a été difficile de renoncer au rêve d’une société que la révolution aurait rendue plus juste pour l’humanité. Après la Première Guerre mondiale et ses dévastations, beaucoup se sont tournés vers l’espoir que le communisme pouvait représenter. Puis, à la sortie de la Seconde, on a vite oublié l’époque infâmante du pacte germano-soviétique… Staline avait gagné la guerre avec nous, c’était notre allié. Ensuite vint la guerre froide, l’Europe avait été divisée par l’accord entre Churchill, Roosevelt et Staline. Il ne fallait pas parler de ce qui se passait « là-bas ». Et si quelqu’un en parlait, pour ma génération, c’était de la propagande américaine, nous n’étions au fond pas meilleurs nous-mêmes, etc. Seuls les plus braves, seuls les plus brillants, osèrent dire la vérité…

The Way Back est une célébration du potentiel qu’a l’être humain d’affronter le pire…

Le film parle de la grandeur qui réside en l’Homme, de sa capacité à survivre, à endurer, à toujours aller de l’avant. Le contexte historique est certes important, mais le thème qui s’y développe l’est bien plus encore. Et j’espère avoir réussi à élever cette histoire vers un niveau plus universel, par-delà les lieux et l’époque. Pour ce faire, bien évidemment, il faut d’abord avoir assuré la crédibilité factuelle, l’exactitude de la reconstitution historique. Le cinéaste que je suis travaille sous le regard de 2 gardiens: la logique et la raison. Mais dès que ces deux-là ont dit « OK » et ont fait passer le feu du rouge au vert, d’autres aspects de ma sensibilité peuvent et doivent émerger. L’inconscient doit avoir voix au chapitre, il me faut me perdre pour trouver le film que j’aspire à réussir. D’abord l’obsession du détail juste, puis l’abandon du contrôle pour faire « décoller » le film. Idéalement, c’est comme cela que je veux fonctionner. Mais je ne suis pas le seul dans ce cas… J’espère et je pense que beaucoup de réalisateurs partent du même principe!

Le détail juste est affaire de quoi?

D’accessoires, par exemple. Je suis convaincu que les objets possèdent un sacré pouvoir! Ils parlent aux acteurs (surtout), aux techniciens. J’aime acheter moi-même ceux qu’il y a dans mes films. Du moins quand j’en ai l’occasion, comme ce fut le cas en Russie où j’ai retrouvé plein de souvenirs de l’époque concernée, par exemple un tas de trucs venant du NKVD(2) et rassemblés dans une cave où ils étaient restés durant des décennies. Une cave où, par ailleurs, étaient organisées des exécutions, comme des traces très parlantes l’attestaient… Il y a plein d’objets de ce type dans le film. Certains m’appartenant personnellement, et faisant un peu figure de talismans par leur présence à l’écran…

The Way Back est une production indépendante, portant la marque du… National Geographic, d’ordinaire lié à des documentaires. Etait-ce un projet impossible à faire financer par Hollywood?

Oui, et nous le savions depuis le départ. Un responsable de studio, auquel nous en parlions, nous a dit:  » Nous ne sommes plus dans ce genre de business…  » Par  » ce genre de business« , il voulait dire un drame adulte, risqué, sur lequel il faut vraiment travailler pour trouver son public, qui plus est avec un sujet européen. Le problème n’est pas qu’une question d’argent. Ce sont les priorités de l’industrie qui ont changé. Je me dis parfois que les évadés de mon film, cherchant à survivre aux éléments, à l’adversité, sont un groupe de cinéastes ( rire)… Et tous ne vont pas s’en sortir! Sérieusement, les temps sont difficiles, le climat est sombre. Les goûts du jeune public, celui qui remplit (ou non) les salles, ont changé. Ils ont grandi « branchés » aux images digitales, aux écrans de toutes sortes et de tous formats. Le cinéma tel que vous et moi l’aimons ne signifie plus grand-chose pour eux. L’argent? Hollywood en fait encore beaucoup avec les films pour enfants. Mais la perte de confiance chez les distributeurs et chez les exploitants est patente. Ils veulent des placements sûrs. Ce que des réalisateurs dans mon style, faisant le type de films que je fais, ne sauraient leur garantir…

L’avenir peut-il être plus souriant?

Les temps changent, on remarque quelques frémissements. Un agent me disait tout récemment que pour la première fois depuis longtemps, les studios achètent un nombre plus élevé de droits d’adaptation sur des livres. Des livres! De l’argent pour faire des films à partir de livres, pas de séries télévisées ou de jeux vidéo! Il y aurait donc de l’espoir. En écoutant cet agent, j’ai repensé à ces moments, durant mon enfance, où en pleine période de sécheresse, mon paternel avait humé l’air et regardé le ciel devant notre maison, et qu’il disait:  » Il va bientôt pleuvoir… »

(1) DE CASPAR WREDE, AVEC TOM COURTENAY DANS LE RÔLE TITULAIRE.

(2) LA POLICE SECRÈTE DE L’ÉPOQUE, HÉRITIÈRE DE LA GUÉPÉOU ET ANCÊTRE DU KGB.

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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