La grande évasion

Ben Stiller trouve dans un fait divers récent matière au récit patient d’un drame humain à la très louable logique anti-spectaculaire.

Le 6 juin 2015, David Sweat et Richard Matt s’échappent de la prison de haute sécurité de Dannemora dans le comté de Clinton: c’est le début de la plus grande chasse à l’homme jamais connue par l’État de New York. Hors normes à bien des égards, ce fait divers récent ne pourrait être qu’un simple prétexte pour trousser une énième mécanique huilée d’évasion étirée au format mini-série. Mais, à la réalisation de chacun des sept épisodes d’une petite heure (98 minutes pour le final) qui composent cette création Showtime, Ben Stiller a le bon goût de s’intéresser davantage aux enjeux humains qui la fondent: dans Escape at Dannemora, l’évasion est d’abord et avant tout mentale, un rêve de liberté difficile à apprivoiser et lent à conquérir.

D’entrée, la série ne fait aucun mystère sur la réussite de cette entreprise, s’appliquant alors à remonter le fil du temps dans un vaste flash-back qui en pose le contexte et l’élaboration, récit patient d’un coup à l’évolution quasiment imperceptible qui évite les facilités psychologisantes grâce à une écriture précise, minutieuse, tenant autant de l’amour du détail que du sens de la suggestion. Point d’emphase mélodramatique à la Shawshank Redemption, et encore moins de frénésie de surface à la Prison Break dans cette mini-série singulièrement peu découpée, à la mise en scène élégante, privilégiant les longs plans en mouvement qui ont l’intelligence de toujours inscrire clairement les actions de leurs protagonistes dans la géographie pénitentiaire qui est la leur.

La grande évasion

D’un réalisme glacé, parfois claustrophobique, l’ensemble pose ses personnages avec nuance et subtilité, offrant à Paul Dano et Benicio del Toro, parfaitement complémentaires, la latitude et l’espace nécessaires pour composer de solides numéros d’acteurs, puissants sans jamais être démonstratifs. À leurs côtés, Patricia Arquette, légitimement récompensée d’un Golden Globe en janvier dernier pour ce rôle, cannibalise littéralement l’écran en mangeuse d’hommes white trash à la cinquantaine enfantine et insatisfaite, figure-pivot d’un drame choral à la très louable logique anti-spectaculaire -l’hallucinant climax émotionnel atteint tout en douceur par le long plan-séquence clôturant le cinquième épisode. Capable de silences qui suspendent le temps, et renvoient son intrigue à une dimension quasiment mythique, Escape at Dannemora se fend par ailleurs d’une bande-son très rock et folk (Bob Dylan, Johnny Cash, Steely Dan, Hanni El Khatib…) qui raconte elle aussi une histoire: celle d’une Amérique hantée par le fantôme des grands espaces.

Escape at Dannemora

Une mini-série Showtime créée par Brett Johnson et Michael Tolkin. Avec Benicio del Toro, Paul Dano, Patricia Arquette. Dist: Universal.

8

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