La frontière a bon dos

© TAYSIR BATNIJI, L'HOMME NE VIT PAS SEULEMENT DE PAIN #2, 2012-2013.

La nouvelle exposition de la Fondation Boghossian revient sur la notion de frontières. Si les oeuvres séduisent, l’enrobage laisse sceptique.

 » Qui a intérêt aux frontières? Les rois. Diviser pour régner. Une frontière implique une guérite, une guérite implique un soldat. On ne passe pas, mot de tous les privilèges, de toutes les prohibitions, de toutes les censures, de toutes les tyrannies. » Ce slogan publicitaire, emprunté à Victor Hugo, vous est offert par la Banque européenne d’investissement (BEI). Dans un monde où l’économie dicte sa loi au politique -ou alors on n’a rien compris-, il n’est pas inintéressant de voir cette dernière s’offusquer des  » on ne passe pas » qui constellent la planète. Quoi qu’il en soit, qu’on ne se méprenne pas, la conviction profonde de la BEI, qui selon Wikipédia  » gère un portefeuille près de deux fois plus important que celui de la Banque mondiale« , c’est que l’art a un rôle majeur à jouer  » dans l’instauration d’un dialogue et d’une compréhension mutuelle« . Et l’argent dans cette affaire, quelle est sa mission à lui? Faire de la planète un monde meilleur? Wikipédia encore:  » De l’avis de ses détracteurs, la BEI semble privilégier des projets dont les retombées économiques sont certaines et élevées plutôt que de mettre la priorité sur la lutte contre la pauvreté ou la protection de l’environnement. » Fin de cette très superficielle mise en perspective, on laisse à chacun le soin de juger en son âme et conscience. Revenons au sujet principal, soit cet accrochage qui confronte une sélection d’oeuvres d’artistes européens, provenant justement de la collection de la BEI, avec des pièces issues d’artistes originaires du Moyen-Orient et du Maghreb, sélectionnées par Michket Krifa, commissaire invitée. Aucun doute là-dessus: l’exposition est de qualité. D’autant plus que la sobriété est de mise, à cet égard on notera que le patio a été laissé vierge, permettant au visiteur de ne pas avoir à affronter l’obésité visuelle qui caractérise tant d’événements.

Temps forts

Dans la mesure où les oeuvres sont présentées à travers le prisme évoqué plus haut, on s’accordera sur le fait qu’elles ont été vidées de leur potentielle charge politique. Passé ce second préambule, il reste dès lors le « Beau ». Beau il y a, à l’instar de ce dessin sur papier de riz signé par l’Espagnol Jaume Plensa. Une vraie merveille matiériste que cette boîte sombre qui vient à la rencontre du spectateur et dont le petit livret du visiteur nous dit qu’il figure  » l’oppression que subit l’esprit« . De l’autre côté de l’ancienne salle à manger, dans ce qui était autrefois le grand salon, Taysir Batniji aligne de friables savons de Marseille, là où l’on espérerait le marbre, qui restituent l’un des articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme. À l’étage, et c’est sans doute l’oeuvre la plus émouvante de Beyond Borders, on tombe nez à nez avec Delocazione, une « empreinte » signée en 1971 par Claudio Parmiggiani. Bien connue, cette série évoque la trace d’objets, en l’occurrence une toile, ayant été déplacés. Ni spectaculaire, ni frontale, cette métaphore du déracinement, produite à partir de poudre, de fumée et de cendre, serre le coeur. Il en va de même pour Keeping Afloat, un gilet de sauvetage pour enfant sculpté dans le marbre, un écho inattendu au travail du Gazaoui Batniji sus-cité, que l’on doit à Nasreddine Bennacer… et qui laisse l’âme dévastée.

Beyond Borders

Fondation Boghossian, 67 avenue Franklin Roosevelt, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 24/02.

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www.villaempain.com

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