ALLER SIMPLE POUR L’ENFER – POUR LA COULEUR DE LA NUIT, L’AMÉRICAIN MADISON SMARTT BELL AVOUE AVOIR ÉCRIT SOUS LA DICTÉE DES DÉMONS. AU SENS LITTÉRAL DU TERME.

DE MADISON SMARTT BELL, ÉDITIONS ACTES SUD, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA), 237 PAGES.

Le lecteur curieux, celui qui caresse son livre, le hume, le palpe avant d’en entamer la lecture, aura été prévenu. Dans ses remerciements en fin de roman, Madison Smartt Bell confesse que l’histoire de La couleur de la nuit est, sans l’ombre d’un doute,  » la plus violente et la plus effrayante… et que certains ne pourront dès lors que la détester« .

L’Américain avait déjà sondé les milieux hippies déjantés des années 60 dans son roman précédent, La ballade de Jesse. Il y revient en s’enlisant cette fois dans une ambiance glauque à la Blue Velvet et avec une violence démoniaque. Si la solitude et la quête de soi liées à un passé douloureux sont des thèmes récurrents dans son £uvre, nous sommes plutôt confrontés ici à 2 monstres féminins membres d’un groupe, plus proche d’une secte satanique que d’une communauté « peace and love ».

Cocktail explosif

Mae et Laurel sont 2 adolescentes dont la perversité et la sauvagerie laisseront plus d’un lecteur médusé. L’histoire s’ouvre 30 ans après les faits, le 11 septembre 2001, quand Mae découvre par hasard sur son petit écran celle qu’elle avait perdue de vue depuis de très longues années. A l’époque, le « groupe » avait été disloqué par les forces de l’ordre à la suite d’un meurtre particulièrement crapuleux, rappellant étrangement celui commis par la famille Manson sur Sharon Tate, l’épouse de Polanski alors enceinte. C’est pour Mae le début d’une longue et difficile remontée vers cette vie de bohème où la défonce à l’acide et les activités sado-maso étaient de rigueur, imposées par un père-gourou qui prêchait la partouze et les trips hallucinatoires. Mae a aimé Laurel d’une passion absolue, au-delà de l’amour des mortels et leurs sentiments dérisoires, et elle ressent le besoin impérieux de la retrouver pour accomplir l’acte qui doit sanctifier cet amour mythique et l’emporter loin de l’enfer de la réalité. Mae n’a rien à perdre, elle mène une vie minable, travaille dans un casino au milieu du désert du Nevada, habite une caravane et ses seuls compagnons de solitude sont les coyotes et les loups.

Dans La ballade de Jesse, Smartt Bell dépeignait déjà une jeunesse cabossée. Mais il nous berçait dans une douce torpeur presque tendre, et les personnages étaient récupérés par la musique de Nirvana, qui permet de réconcilier avec l’existence. Ici, par contre, l’auteur reconnaît avoir  » compris les relations que les habitants (à Haïti) entretiennent avec une foule d’esprits Les Invisibles…  » et qu’il vit avec eux.

Dans La couleur de la nuit, il n’y a pas de rédemption possible. Comme dans la tragédie grecque, la fatalité pèse sur les personnages, la nuit est noire, désespérée, et il faut y entrer en transes comme Smartt Bell est entré en écriture. Sorte de catharsis où les cultes dionysiaques remplacent les joints, roman trash où les esprits exaltent le chaos et la mort. Cette initiation sexuelle voire criminelle fascinera un public averti et quelques nihilistes nostalgiques de cette période baba-explosive mais les enseignements du charismatique gourou « D- » choqueront les lecteurs qui espèrent encore en l’humanité. l

MARIE-DANIELLE RACOURT

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