GÉANT BARBU À LA TÊTE D’UN REDOUTABLE COLLECTIF DE MUSICIENS, BASÉ À RICHMOND (VIRGINIE), MATTHEW E. WHITE SORT SON 2E ALBUM: FRESH BLOOD, DISQUE DE SOUL-R’N’B LÉCHÉ, MOINS RÉTRO QUE « CLASSIQUE« .

La carcasse imposante de Matthew E. White arpente la rue Dansaert, sans jeter le moindre oeil aux boutiques chic. L’interview est terminée, mais on profite du trajet jusqu’à la Bourse de Bruxelles pour prolonger la discussion, à bâtons rompus. « Je connais très peu, très mal les musiques européennes. L’autre jour, par exemple, on m’a parlé de ce groupe dont le chanteur s’est suicidé. Comment s’appelle-t-il encore? Les mecs ont changé de nom par la suite… Ah oui, Joy Division, c’est ça! » Nous sommes en 2015, la moindre musique est à portée de clic, mais Matthew E. White a réussi jusqu’ici à faire l’impasse sur l’un des groupes les plus influents de l’histoire du rock… C’est peut-être une question de trajectoire: né en 1982, l’Américain a passé ses premières années aux Philippines et au Japon, baladé par ses parents missionnaires évangélistes, pas forcément très ouverts sur la new wave britannique. A moins qu’il s’agisse plus simplement d’une affaire de point de vue? Une question de focale? Toute son attention, Matthew E. White la consacre en effet aux musiques américaines. Toutes les musiques américaines. Soul, r’n’b, folk, rock, blues, mais aussi celles nées plus au sud: dub (il a donné une « conférence » sur le sujet en 2013, à l’Ancienne Belgique), reggae, bossa, tropicalisme…

Avec son premier Big Inner, sorti en 2012, Matthew E. White avait déjà posé la plupart de ces obsessions. Le nouveau Fresh Blood confirme la donne. A la fois esthétique: ce goût pour une musique américaine vénérant la soul, tout en louchant vers un certain cool à la californienne. Et éthique: chez Matthew E. White, la musique -quelque part entre Al Green et Randy Newman- semble en effet aussi importante que la manière de la faire. Basé à Richmond (Virginie), White est ainsi au centre d’un collectif baptisé Spacebomb. L’idée: rassembler un noyau de musiciens qui servirait d' »orchestre » pour les artistes maison. Un peu comme la Motown ou Stax dans les années 60, dont les mêmes musiciens se retrouvaient à jouer sur tous les disques des stars du label… Big Inner fut ainsi le premier ballon d’essai de Spacebomb, « un test grandeur nature, pour voir si notre idée tenait la route ». Le succès fut incontestable. En ce début d’année, l’album de Nathalie Prass, produit par White, et entièrement concocté avec la bande de Richmond, en est une autre brillante illustration, un petit bijou de country-soul léchée, mais pas trop.

L’art et la manière

Alors que les nouvelles technologies permettent de faire un disque seul à la maison, les zozos de Richmond, White en tête, se sont donc mis en tête de ressusciter un certain esprit. Celui de la musique comme artisanat. Un truc un peu old school, où tout le monde se retrouve dans un « vrai » studio à bidouiller son instrument, moins pour se palucher avec, que pour le mettre entièrement au service du morceau. Dit comme cela, Matthew E. White et ses potes de Spacebomb pourraient passer pour une énième proposition rétro-vintage. Ici, toutefois, il serait plus pertinent de parler de « classicisme ». Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. « La musique que j’aime est celle qui combine l’aventure et la tradition. » Illustration par la… peinture. « Je ne suis vraiment pas un expert en la matière. Mais mes peintres préférés sont des génies comme Matisse, Gauguin ou Picasso évidemment. Des peintres du début du XXe siècle, qui ont remis en cause la tradition, parfois de manière très agressive, mais chez qui on pouvait sentir aussi malgré tout la profondeur qui vient d’une pratique soutenue, constante… Il y avait un respect pour la pratique même de la peinture que l’on trouve moins dans le pop art, chez des gens comme Warhol, etc. »

Derrière la posture laborieuse, presque prolétaire, il y a surtout la volonté de trouver le bon costume à la bonne chanson. « Des idées, ce n’est pas cela qui manque. Mais il ne faut pas se contenter de juste les « vomir ». Organiser les choses, c’est fondamental. Une chanson, c’est rarement plus de trois éléments: un refrain, des couplets, et la partie instrumentale. Vous pouvez ajouter d’autres choses. Mais alors vous avez besoin de savoir très précisément quoi et pourquoi. » Que la chanson joue sur l’ironie comme Rock&Roll Is Cold (« but r’n’b is free« , fait remarquer White), rende hommage à l’acteur Philip Seymour Hoffman (Tranquility), ou se penche sur les abus sexuels dans l’Eglise (Holy Moly).

Ailleurs, White chante encore que « l’amour est un choix » (Vision). Ou, à l’instar de la musique, un ouvrage à remettre en permanence sur le métier. « Je pense en effet qu’au final, l’amour est une question d’engagement. Au départ, cela vous tombe dessus. C’est émouvant, romantique. Mais au bout d’un moment, cela doit se transformer en autre chose. Cela devient une décision. Vous ne pouvez pas ressentir éternellement l’émotion que vous avez connue au départ. Mais par contre, vous échangez ça contre une autre gamme de sentiments. A quoi ça ressemble, par exemple, d’être avec quelqu’un depuis quinze ans? Vingt ans?… C’est différent à chaque fois. Je pense que l’art fonctionne de la même façon. Une fois que votre disque marche un peu, c’est très tentant par exemple d’aller bosser dans tel studio avec tel producteur, ou de s’acheter un tas de nouveau matériel. Plutôt que d’investir dans les gens autour de vous, l’espace que vous avez mis en place, ou même votre propre pratique. Je crois vraiment que vous pouvez atteindre quelque chose de spécial en creusant toujours un peu plus profond. »

MATTHEW E. WHITE, FRESH BLOOD, DISTR. SPACEBOMB/DOMINO.

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EN CONCERT LE 23/04, À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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