ALEJANDRO INARRITU SIGNE LE PORTRAIT DRÔLE, FÉROCE ET SENSIBLE D’UN SUPER-HÉROS HOLLYWOODIEN TENTANT DE SE REFAIRE SUR LES PLANCHES D’UN THÉÂTRE NEW-YORKAIS.

Birdman

D’ALEJANDRO GONZALEZ INARRITU. AVEC MICHAEL KEATON, EDWARD NORTON, EMMA STONE. 1 H 59. SORTIE: 28/01.

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Longtemps abonné aux récits polyphoniques, Alejandro Gonzalez Inarritu s’est, depuis Biutiful, concentré sur les trajectoires d’hommes seuls. Après le Uxbal que campait, tout en intensité frissonnante, Javier Bardem, voici donc Riggan Thomson, incarné avec non moins de force par Michael Keaton. Soit, en l’occurrence, un acteur ayant connu, une vingtaine d’années auparavant, son heure de gloire sous les traits de Birdman, super-héros comme Hollywood les affectionne. Et que l’on retrouve dans la loge miteuse d’un théâtre new-yorkais, alors qu’il s’emploie à relancer sa carrière, sinon à redonner quelque sens à son existence, en montant une adaptation de Raymond Carver dont il tiendra également le premier rôle. L’entreprise est plus hasardeuse encore qu’il n’y paraît cependant, qui voit se greffer à ses problèmes d’ego et son désordre intime des questions d’intendance -et notamment le remplacement au pied levé de l’un de ses comédiens par une arrogante star des planches (Edward Norton, dans un rôle taillé sur mesure), ne cherchant même pas à dissimuler le mépris qu’il lui inspire…

De Batman à Birdman

De All About Eve de Mankiewicz au tout récent Sils Maria d’Olivier Assayas, la condition de l’acteur confronté au temps et à l’oubli a régulièrement constitué un puissant moteur de fiction. Il n’en va pas autrement de ce Birdman, où Inarritu reprend avec bonheur la thématique à son compte, pour signer une réflexion sensible sur le destin contrarié de Thomson, Icare en combinaison latex qui tutoya un jour les étoiles avant de se voir aujourd’hui malmener. Une réflexion à la résonance d’autant plus troublante que le réalisateur a choisi pour l’incarner Michael Keaton, absolument sensationnel dans ce qui s’assimile à une mise en abîme vertigineuse, l’acteur trouvant là son emploi le plus mémorable depuis… Batman, et dominant une distribution éclatante où l’on retrouve encore Emma Stone ou Zach Galifianakis.

De Batman à Birdman, on prend bien sûr la mesure ironique du propos, que le réalisateur veille d’ailleurs à aiguiser d’une peinture acide de Hollywood comme de Broadway, et tant qu’à faire des critiques, pour signer un film féroce et drôle à la fois. Le résultat, qui s’autorise encore, dans son ultime chapitre, quelques échappées belles du meilleur effet, se révèle aussi réjouissant que pénétrant. Inarritu réussit à donner à ce voyage introspectif des contours surprenants, laissant réalité et fiction se contaminer tandis que sa caméra s’insinue dans les coursives en plans-séquences élégants. S’il y a là une virtuosité par moments fort démonstrative -au point d’occulter quelque peu la densité émotionnelle du propos-, son Birdman n’en vole pas moins bien haut, trouvant l’humain derrière le masque du super-héros.

LIRE ÉGALEMENT L’INTERVIEW D’EDWARD NORTON PAGE 16.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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