Olivier Meys, un jeune Belge amoureux de la Chine
Bitter Flowers fait s’épanouir le cinéma d’un jeune Belge amoureux de la Chine, et jusqu’ici connu pour ses documentaires.
Nous n’oublierons jamais Lina, venue de sa Chine natale à Paris pour y travailler comme nounou, et qui finira par s’y prostituer. Jouée admirablement par Xi Qi, l’héroïne du premier long métrage d’Olivier Meys prend place au rang des personnages les plus passionnants du cinéma belge récent. Et du cinéma chinois, aussi! Le jeune réalisateur ayant tissé avec le géant d’Orient des rapports aussi durables que féconds, dont témoignent plusieurs documentaires du plus haut intérêt. C’est durant ses études à l’IAD, au tout début des années 2000, que Meys rencontra, sur un tournage, un décorateur chinois qui lui parla d’un début de scandale autour du sang contaminé au Hunan. L’idée d’aller là-bas, de faire sur ce sujet brûlant un film à deux, et « à l’arrache », aura marqué le point de départ d’une aventure se poursuivant aujourd’hui encore, à travers une fiction documentée à la justesse troublante.
Présent entre parenthèses
Le cinéaste était à Paris, en 2008, pour présenter un de ses courts métrages au Festival du Cinéma du Réel. Entre deux séances, il se promenait dans la rue quand il a remarqué un petit groupe de femmes qui faisaient les cent pas. « À leur accent, à leur physique, j’ai compris que c’était des Chinoises du nord-est. Et pas des touristes. Je me suis par la suite intéressé à ce groupe, à ceux qui travaillent avec elles comme Médecins du Monde.«
Le Dongbei, la région d’origine de ces femmes, n’est pas une zone livrée à la misère. « Elle a longtemps été privilégiée, explique Olivier Meys, grâce à une industrie lourde qui attirait plutôt des gens de l’extérieur voulant y travailler. Il a fallu les changements socio-économiques en Chine dans les années 90 pour que, vers la fin de cette décennie, commence une émigration. Essentiellement celle de femmes que les familles chinoises installées à Paris, très majoritairement d’origine rurale et du sud, appréciaient parce qu’au Dongbei on parle très bien le meilleur mandarin, et que dès lors les nounous pouvaient l’enseigner aux enfants. »
La diminution drastique des salaires offerts aura poussé pas mal de ces femmes vers « une prostitution consentie »: « L’héroïne du film assume cela, commente le réalisateur, elle a son libre arbitre tout au long. Elle exprime ce sens du sacrifice des femmes chinoises, ce rapport au temps qui fait qu’on met le présent entre parenthèses pour assurer l’avenir des siens. Ces femmes envoient chaque mois environ 2000 euros à leur famille, ce qui là-bas représente beaucoup d’argent. »
Respect et partage
Olivier Meys a très vite su qu’il ne ferait pas un documentaire, mais un film de fiction. « Si je faisais un documentaire, il allait forcément être axé sur la parole, sur l’information, et avec visages floutés vu le tabou que le sujet représente. Faire une fiction s’imposait pour aller au coeur humain des choses. » Et pour atteindre ce coeur, cette résonance humaine, le cinéaste a choisi le complice idéal en la personne de Benoît Dervaux, le cameraman attitré des frères Dardenne (et par ailleurs lui-même réalisateur de docus). « Je voulais ancrer le film dans cette ville de Paris où nous n’avions pas les moyens de bloquer une rue, de prendre des figurants, se souvient Meys. Alors il fallait tourner à l’arrache! Benoît est aguerri à ça. Quand il tient la caméra, il trouve toujours la juste distance entre elle et les personnages qu’il filme. Une distance juste et humaine, dans le respect et dans le partage. On est à la fois avec et pas dans le gluant du dedans. Comme les personnages sont socialement et familialement fragilisés, je ne voulais aucun pathos. »
Rien d’appuyé, en effet, dans Bitter Flowers, un film dont le titre original chinois, Xia Hai, se traduit par « se jeter à l’eau ». Une oeuvre sobre et forte, dont l’auteur puise dans sa déjà longue expérience de vie et de création au pays de Lina une légitimité aussi cruciale que rare. « Il y aura plusieurs projections au mois de mai, à Beijing, Shanghai et Hong Kong, conclut Olivier Meys, mais j’ai déjà montré le film dans plusieurs festivals, et des Chinois sont venus me parler. Ils sont généralement très touchés par le regard que je peux porter sur les femmes chinoises, qui ont beaucoup payé dans les transformations qu’a connues le pays, et aussi étonnés par la justesse de ce regard, venant d’un étranger. Le film ne devrait pourtant pas avoir de sortie officielle là-bas. Pas tellement à cause du sujet de la prostitution, mais surtout pour cette idée qu’un avenir meilleur puisse passer par un voyage à l’étranger… »
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