CONNECTEUR INSPIRÉ, RODOLPHE BURGER PRÉSENTE AUX HALLES DE SCHAERBEEK LE CANTIQUE DES CANTIQUES COMPOSÉ POUR SON AMI BASHUNG ET UN HOMMAGE AU POÈTE PALESTINIEN MAHMOUD DARWICH.

A l’écart de République, près d’un canal Saint-Martin devenu mode, Rodolphe Burger vit dans une ancienne peausserie. Il en a gardé une table imposante sur laquelle on travaillait les peaux d’animaux. Près d’un piano, on note la présence de La Chambre claire de Barthes.  » Je suis né fin 1957 et je fais partie de cette génération qui a eu la chance d’être à Paris dans les années fastes, où il y avait une offre intellectuelle incroyable. On pouvait aller écouter Foucault, Derrida, Lacan et bien sûr les fameuses interventions de Barthes au Collège de France. » A sa manière, Burger est aussi un dépeceur d’idées, mais il vient d’un autre espace que le Basque Barthes: une vallée isolée d’Alsace où il grandit dans une maison qui jouxte la scierie familiale de Sainte-Marie-aux-Mines. Il en a encore l’odeur dans le nez.  » Et la crainte des incendies. On était dans une ville avec un glorieux passé minier qui avait connu les belles heures du textile puis avait, comme tant d’autres, décliné. J’y ai formé un groupe rock, joué aux publications clandestines, fait de la politique avec toujours une certaine idée de résistance. » Celle-ci vient aussi de l’Histoire de la région, enjeu entre la France et l’Allemagne:  » La ferme d’Alsace où j’ai aujourd’hui mon studio a été construite sur les ruines d’une maison canardée, la forêt voisine est toujours pleine de vestiges, de bunkers et un cimetière allemand de la Première Guerre y est caché. L’allemand était pour moi la langue de la souffrance, pendant très longtemps j’ai refusé de le parler. Mon père avait été enrôlé de force dans l’armée allemande, il avait failli être fusillé par la Gestapo, il avait déserté. Mais ma grand-mère incarnait cette formidable culture allemande d' »avant », la musique, la philosophie. »

Un des prochains projets de Rodolphe est d’ailleurs un disque allemand. Et 2 de ses collaborations les plus fameuses sont liées à la région. Higelin, dont il produit le beau Coup de foudre en 2010, est de père alsacien.  » On s’est rencontrés à un moment où Jacques était assez désespéré, il pensait peut-être ne plus jamais faire de disques. Et puis il est venu voir mon studio et s’est senti bien dans la vallée, il disait que j’avais le même accent que son grand-père. » Pour Bashung, le lien est plus douloureux puisqu’il passe son enfance avec les parents de son beau-père dans un petit village près de Strasbourg.  » Avec Alain, on avait ce point commun d’avoir grandi au son de la radio américaine arrosant les bases US installées juste de l’autre côté de la frontière. Et par après, j’ai été très flatté de savoir qu’il aimait le groupe que j’avais formé, Kat Onoma, qui d’ailleurs avait quelque chose de déraciné: on nous prenait souvent pour des Belges ou des Suisses…  » La rencontre avec Bashung se fait en plusieurs étapes, lors d’une soirée  » raide » à Avoriaz et puis aux studios bruxellois de l’ICP, où Bashung mixe un live alors que Burger bosse avec Françoise Hardy. Cela se concrétise finalement à l’époque de Fantaisie militaire (1998):  » On a vraiment eu cette conversation pendant 4 heures, chez moi, alors que le taxi attendait Alain dehors (rires). Il venait de se séparer de sa femme, il était dans un état de solitude incroyable et ne voulait même pas écouter cette chanson que j’avais faite, Samuel Hall « . Instinctivement, Bashung se ravise et a le coup de foudre pour ce morceau royal, lointainement inspiré d’un titre country interprété par Johnny Cash.  » Il l’a prise telle quelle et n’a pas voulu que j’y retouche quoi que ce soit, alors qu’Alain pratique généralement une très longue chimie. Cela a scellé notre rencontre et tout ce que l’on a pu faire ensemble par la suite s’est révélé naturel et limpide. Il est venu plusieurs fois dans mon festival à Sainte-Marie-aux-Mines, comme si je lui avais permis de se réconcilier avec quelque chose de l’Alsace. »

Mathématique cantique

En 2001, pour son mariage avec Chloé Mons, Alain Bashung demande à Burger de composer une courte pièce musicale destinée à la cérémonie à l’église. Sur un extrait de l’Ancien Testament, la collaboration de 5 minutes s’étire vers la demi-heure:  » Alain voulait une maquette pour présenter au curé(sourire), on s’est posés sur des boucles et on n’a pas pu s’arrêter. » Ce Cantique des cantiques, sorti en disque en 2003, ouvrira la prochaine performance de Burger aux Halles, qui comporte ensuite un hommage musical rendu à Mahmoud Darwich, poète de la cause palestinienne. Curieusement, le premier mène au second via Jean-Luc Godard qui offre Le Cantique des cantiques à son ami Elias Sanbar, intellectuel palestinien. Celui-ci y voit la résonance d’un texte de Darwich, S’envolent les colombes. « Par un ami commun, j’ai rencontré Sanbar qui m’a proposé de faire une musique sur le texte de Darwich et d’aller le voir à Ramallah, ce qui n’a jamais pu se faire. Darwich est mort et Alain aussi. Quand la Scène nationale de Sète m’a proposé une création, j’ai eu envie de mettre les 2 textes en miroir: ce Cantique dont l’église n’a jamais su quoi faire, un texte torride, la love song absolue, dans une version qui intègre l’hébreu, et puis ce texte de Darwich sur l’amour, au plus sensuel. » Pour l’occasion, Burger est entouré de la chanteuse Ruth Rosenthal de Jaffa, du jeune Rayess Bek venu de Beyrouth, du joueur algérien d’oud Mehdi Haddab et des multi-instrumentistes français Julien Perraudeau et Yves Dormoy.  » C’est ma façon à moi de convoquer la politique », précise Burger dans un grand sourire. l

u LE 17 MARS À 20H30 AUX HALLES DE SCHAERBEEK, WWW.HALLES.BE

RENCONTRE ET PHOTO PHILIPPE CORNET, À PARIS

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