L’Usine

C’est une usine gigantesque. Tellement grande qu’elle borde l’océan d’un côté et enjambe un large fleuve de l’autre, qu’elle a son propre service de transport, qu’elle abrite une forêt, des quartiers résidentiels, des bowlings, des restaurants. Une ville dans la ville, dont le prestige rayonne dans tout le Japon. Y travailler devient une fin en soi. Quitte, comme ces trois jeunes tout juste engagés, à accepter des postes sans intérêt: préposée à la déchiqueteuse pour l’une, correcteur de documents qui n’ont aucun sens pour l’autre, responsable de la végétalisation des toits du complexe pour le dernier. Pris en tenaille entre l’absurdité de leur tâche, le manque de visibilité (personne ne semble savoir ce que fabrique réellement l’Usine) et le poids des conventions auxquelles tout le monde semble se soumettre sans broncher, ils en viennent chacun de leur côté à éprouver une forme de malaise métaphysique, d’autant plus effrayant qu’il ne s’énonce pas mais est suggéré par la description clinique de cet environnement de travail déshumanisé. Rien ne semble pouvoir perturber l’organisation. Ni la disparition sans explication de Gôto, leur responsable. Ni même la prolifération inexpliquée de ragondins et de corbeaux aux abords du complexe, dans laquelle il est tentant de voir une métaphore hitchcockienne de révolte contre cette entreprise totalitaire. Baignant d’un bout à l’autre dans une atmosphère étrange et fascinante, cette fable politique déroutante sur l’aliénation au travail et le renoncement à la liberté inscrit son autrice, dont c’est le premier livre traduit en français, dans la lignée d’un Kafka.

D’Hiroko Oyamada, éditions Christian Bourgois, traduit du japonais par Silvain Chupin, 192 pages.

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