Dans Vincere, Marco Bellocchio retrace l’existence d’Ida Dalser, la femme cachée de Mussolini, vouée à l’oubli par le fascisme. Un maître-film.

S’il fait aujourd’hui figure de vétéran du cinéma transalpin – Les Poings dans les poches, le film de ses débuts, remonte à 1965 -, Marco Bellocchio n’en continue pas moins à tourner des films dont l’acuité a comme pendant la lucidité. Quelques années après avoir magistralement abordé l’assassinat d’Aldo Moro dans Buongiorno, notte, c’est une autre page trouble du passé récent de l’Italie que rouvre le cinéaste dans Vincere. Le film s’attache, en effet, à une figure oubliée de l’histoire officielle, Ida Dalser, femme cachée de Mussolini dont elle devait avoir un fils, qu’il reconnaîtra, avant de le désavouer, au même titre que sa mère. Internée, celle-ci n’aura de cesse de clamer sa vérité. Une femme d’exception, et un film qui avait enthousiasmé le festival de Cannes, cadre de cet entretien.

Comment avez-vous eu l’idée de consacrer un film à Ida Dalser?

Je n’en avais jamais entendu parler avant de découvrir à la télévision un documentaire intitulé Il segreto di Mussolini. L’histoire d’Ida Dalser m’a semblé exceptionnelle: notre connaissance du fascisme, celle qui a fait l’objet de livres et d’articles, se concentre essentiellement sur la lutte entre les fascistes et les anti-fascistes. Nous avons étudié ces combats, les emprisonnements, les morts, les martyrs, mais l’utilisation d’hôpitaux psychiatriques afin de museler les personnes gênantes est quelque chose d’exceptionnel.

Vous recourez, dans le film, à des actualités cinématographiques qui viennent se fondre dans l’histoire. Pourquoi, à partir d’un moment, ne plus montrer Mussolini qu’à travers ces images d’archives?

Pour des raisons stylistiques avant tout. Si vous faites attention au vieillissement d’Ida Dalser, elle traverse 30 années d’histoire italienne sans beaucoup changer. Tout au plus si elle a quelques cheveux gris et des rides, mais j’ai veillé à ce que le processus de vieillissement ne soit pas trop marqué. Le fait de passer, à partir de 1922, de l’acteur qui l’interprète au véritable Mussolini est aussi un choix dramaturgique. Le transfert s’opère à l’aide du seul cinéma; je n’ai pas voulu d’une rupture abrupte, mais bien de la médiation du cinéma parce que Mussolini lui-même définissait le cinéma comme une arme très puissante. Il s’en est servi pour imposer son image à la population italienne, et je m’appuie sur les mêmes moyens pour marquer le passage de l’acteur à Mussolini. Ida elle-même découvre ce qu’il est devenu au cinéma. Elle ne le reverra plus jamais en personne, mais uniquement par écran de cinéma interposé.

Après l’assassinat d’Aldo Moro, vous traitez dans Vincere d’un autre traumatisme de l’histoire récente de l’Italie. Qu’est-ce qui vous pousse à relever ces défis? L’Italie se débat-elle toujours avec le fantôme de Mussolini?

Non, il ne hante plus les Italiens. Mais, jusqu’il n’y a pas si longtemps, les politiciens de droite continuaient à le défendre, en soutenant qu’il restait le plus grand homme politique italien. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, où il est considéré comme le mal absolu, et où la droite a affirmé son refus du fascisme et de Mussolini. J’ai tourné Vincere parce que j’avais été frappé par les personnages impliqués dans cette histoire. Mon intention n’était pas de mener une réflexion politique, ou d’instruire un parallèle entre l’histoire contemporaine et l’histoire de cette époque. Mais chaque spectateur peut établir ses propres correspondances entre Mussolini et Berlusconi, en particulier au sujet de leur pouvoir médiatique. Cela étant, nous ne pouvons affirmer vivre actuellement sous une dictature en Italie. C’est une démocratie, et il y a toujours une opposition. Mais le leader, comme Mussolini en son temps, détient un pouvoir supplémentaire, et c’est celui des médias, puisqu’il possède ou contrôle les télévisions, ce qui est loin d’être négligeable.

Est-ce la raison pour laquelle on a vu récemment de très bons films italiens sur la société et ses aspects politiques, comme Il Divo ou Gomorra?

Le cinéma italien a toujours été un cinéma de gauche, il n’y a eu que fort peu de cinéastes de droite. La gauche n’ayant guère gouverné, les cinéastes ont toujours représenté l’opposition. Faire d’un film de propagande un chef-d’£uvre n’est pas impossible, mais c’est rare. Il Divo et Gomorra sont des films magnifiques qui ne soutiennent ni les forces politiques au pouvoir, ni le type de société qui les y a conduites. Ce sont des films politiques, faits par 2 auteurs de qualité qui ont réaffirmé bien haut le pouvoir des images, qui est la marque même du cinéma.

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Cannes.

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